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IRAN (RELIGION DE L’1120

Toute la vie des Babyloniens était une lutte contre les esprits mauvais et leur prière un recours aux dieux, bons pour écarter les démons. Mais ils n’avaient pas donné à ce monde du mal un chef incontesté. Zimmern a pensé que Nergal, roi des enfers, avait pu influencer le type d’Aliriman (Die Keilinscliviften und das A. T., 3e éd., p. 464, note i). Les Grecs aussi, faute de mieux, ont assimilé Ahriman à Hadès ; c’était leur dieu le plus sombre.

Ahriman, en effet, est le dieu des ténèbres et le chef du monde infernal, et, de même que Nergal n’est devenu roi des enfers que par son mariage avec leur reine, dans les Gàthas l’enfer est le monde de la Druj, démon nettement féminin. Toutefois les spéculations de l’Avesta sur l’enfer sont toujours mêlées aux idées de la réforme d’après laquelle le mort est jugé selon sa propre religion. Il serait injuste de méconnaître une certaine originalité à la religion des Mages. Ahriman n’est pas un dieu spécialisé comme Nergal, quoique un fragment de l’Avesta nomme l’enfer le var ou l’enceinte d’Añgra Mainyu (Darm., III, p. 157) ; il est l’ennemi et installe ses propres créations dans le domaine d’Ormazd. Même sous ces traits il ne nous paraît pas incompatible avec une religion naturiste. Il est le ténébreux, parce qu’Ahura est le brillant. Et si on a réussi à déterminer d’assez près les traits d’Ahura Mazda comme dieu de la nature1, il est aisé d’admettre qu’il fut son contraste naturel avant d’être son ennemi dans le bien2.

Nous avons déjà parlé des Ameshas Spentas, les Immortels bienfaisants. Comme personnalités morales,

« c’est un produit authentique de la conception

de Zoroastre » (Grldner, art. Zoroastrianism dans Encyclopædia bibl.), c’est-à-dire de la réforme. Ce sont déjà des personnes, mais non point précisément les grands archanges que l’on imagine ; ce sont plutôt les conditions et les avantages du règne d’Ormazd, devenus en quelque sorte ses agents. On peut cependant se demander si l’idée morale ne s’est pas greffée sur des créations naturistes, en d’autres termes si les Ameshas Spentas ne sont pas d’anciens génies. Cela est certain pour Spenta-Armaiti, qui représente la terre dans son union avec Ormazd, le ciel. Cela est tout à fait probable aussi pour les autres, car chacun d’eux a dans la nature une attribution particulière. Vohu Manô, le principal, est le génie des troupeaux, et à ce titre il devait être déjà au premier rang dans la vénération d’un peuple nomade. Asha est en relation avec le feu, Khshathra

1. « C’est comme ancien dieu du ciel qu’il a pour corps et lieu la Lumière infinie, ce que les anciens Perses exprimaient en appelant Zeus, c’est-à-dire Auramazda, la voûte entière du ciel ; qu’il a pour fils Atar, le Feu ; qu’il fait couple avec la lumière solaire, Mithra ; qu’il a pour œil le Soleil ; pour épouses les Eaux et aussi Spenta-Armaiti, la Terre, en souvenir du vieil hymen cosmogonique de la Terre et du Ciel. » (Darm., I, p. 22 s., où se trouvent les références.)

2. Yasna, XLV, 2, Gátha ushtavaiti, 3. On peut même vraisemblablement faire remonter le type d’Ahriman à la période indo-éranienne. Chez les Hindous, Rudra n’est pas non plus sans analogies avec Nergal, l’époux de la reine des enfers. Il est très curieux que sa femme Rudrâni ait beaucoup plus d’importance que les autres déesses. Sa demeure est au nord dans la montagne, tandis que les autres dieux habitent à l’Orient. « Son escorte habituelle, ce sont ses bandes, qui se ruent sur les hommes et les bestiaux, semant sur son ordre la maladie et la mort… par lui, le monde des puissances cruelles, confiné d’ordinaire dans la sphère des démons inférieurs, s’élève jusqu’à celle des grandes divinités. Par les précautions que les sacrifiants se voient obligés de prendre contre les atteintes du dieu redoutable, le culte de Rudra ressemble tout à fait à celui des esprits malins et à celui des morts. » (Oldenberg, La religion du Véda, p. 181 ss., 184, 240.)

avec les métaux, Haurvatât avec les eaux, Ameratât avec les plantes. Dans plusieurs cas l’appropriation est assez frappante. On a vu chez plusieurs peuples anciens une relation entre la santé et les eaux, l’immortalité et les plantes, d’où les eaux et l’arbre de vie. Les métaux, par les armes, donnent l’empire. Il se pourrait à la rigueur que l’on eût distribué artificiellement les différents règnes entre les Ameshas Spentas. Mais l’ensemble des analogies conduirait plutôt à l’hypothèse contraire d’un rôle nouveau attribué à d’anciens génies. Au surplus, il importe peu à notre point de vue particulier. Encore moins que les Ameshas Spentas, ces génies primitifs n’ont chance de ressembler aux chefs de la milice céleste, , tels que les Juifs les ont connus.

Le point capital est l’eschatologie (La vie future d’après le Mazdéisme, par Nathan Söderblom). Nous n’attachons que peu d’importance aux descriptions du paradis et de l’enfer, telles qu’elles se trouvent dans des ouvrages de basse époque, comme l’Artà Viràf. Nous n’insistons pas non plus sur le poétique tableau de l’âme mise en présence d’une jeune fille d’une admirable beauté ou d’une laideur repoussante, qui n’est autre que sa propre conscience ou sa religion. Il s’agit ici des idées maîtresses.

La théologie des Perses du ixe siècle croit à la subsistance des âmes. Après leur mort, elles sont jugées au pont Cinvàt. Les unes vont jouir de la félicité, les autres tombent en enfer ; d’autres sont reléguées dans un état intermédiaire, Hameslakân. A la fin du monde, tous ressuscitent et subissent l’épreuve du métal fondu. Pour les justes, c’est du lait ; pour les pécheurs, c’est une dernière torture, mais qui les purifie. A la fin, tous sont sauvés, si on ne tient pas compte d’exceptions insignifiantes, comme Ahriman lui-même qui serait seulement réduit à l’impuissance. Mais ce pardon universel ne figure pas dans les Gàthas et paraît tout à fait contraire à leur esprit de sévère justice. Nous aurons même à nous demander si elles connaissaient la résurrection ; L’état intermédiaire est ignoré même de l’Avesta postérieur.

Ainsi, jugement particulier, jugement général, paradis, enfer et purgatoire, résurrection des corps, toute cette eschatologie est assez semblable à celle du Christianisme, hormis le pardon de tous, qui n’était pas étranger à la théologie d’Origène. Avec le temps on a décrit plus au long le bonheur du ciel et les tortures de l’enfer, on a introduit en même temps des tempéraments et des facilités pour la pénitence. Ces points ne nous intéressent pas ici, il nous serait plutôt utile de savoir quelle était dans ses grands traits l’eschatologie ancienne des Perses.

Il faut se contenter d’indications plus ou moins vagues.

Söderblom

a relevé les traces d’une conception antérieure

à la doctrine de la rétribution (Loc. laud., p. 91). L’âme séparée du corps avait besoin d’être secourue, et le pont Cinvàt semble avoir d’abord opéré par lui-même automatiquement, laissant passer les uns et rejetant les autres, avant de devenir simplement le théâtre d’un jugement particulier. On pensait donc que toutes les âmes, sans distinction, étaient exposées après la mort à des dangers surnaturels, et qu’il dépendait des vivants de leur assurer aide et protection par des sacrifices aux dieux protecteurs des pauvres morts.

Dans quelle mesure ces notions marquent-elles un stage d’où l’idée de rétribution est absolument absente ? il est difficile de le dire ; les deux systèmes peuvent (coexister pendant un temps considérable, comme le prouve l’exemple de l’Egypte, où la meilleure sauvegarde de l’âme était dans l’affirmation