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INSTRUCTION DE LA JEUNESSE

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payant deux fois, d’abord pour faire élever leurs enfants à leur gré, ensuite pour l’instruction de ceux qui sont aux écoles de l’Etat, o C’est comme si de Taris à Bordeaux il y avait deux chemins de fer, l’un par Chartres, l’autre pai- Orléans, exploités par deux compagnies difTérenles, et que j’eusse le droit <le me rendre à Bordeaux par Orléans, mais à la condition de payer ma place à la Compagnie d’Orléans et aussi à la Compagnie de Chartres. Dans ce cas, la Compagnie de Chartres ne ferait pas autre chose <[ue lever sur moi un impôt, sans aucune espèce de droit et de raison. Plus qu’un impôt ; car un impôt n’est pas autre chose qu’une rémunération donnée il l’Elat pour un service qu’il rend ; et, dans le cas susdit, la Compagnie de Chartres ne m’en rendrait iiucun. Ce qu’elle lèverait sur moi ce ne serait donc pas un impôt, mais un tribut, comme un vainqueur impose à un vaincu l’obligation d’en payer un. C’est exactement ce que fait l’Etat en faisant payer ses professeurs par des gens qui en ont d’autres. Il les taxe d’une contribution de guerre. C’est un peu barbare. » (Em. Faguet, Le Libéralisme, p. 13 : 5-135.) . L’Etat enseignant se rend coupable de bien d’autres vexations ; par exemple, rjuand il contraint les fonctionnaires à fréquenter les écoles ollicielles, sous jieine d’encourir sa disgrâce. Pour être les serviteurs du gouvernement, ils n’en restent pas moins hommes, pères de famille et citoyens ; par conséquent, leur liberté et leurs droits doivent être lidèlement respectés.

4° Droits de l’Etat. — Les droits de l’Etat sont réels, mais limités par la nature même de sa mission, qui doit se borner, comme nous l’avons établi, à sauvegarder la justice et à aider les particuliers dans la ])OUrsuite du progrès. C’est pourquoi, sans lui accor<ler le pouvoir d’inspecter l’enseignement des écoles libres, qui par le fait même cesseraient de l’être, nous lui reconnaissons, là comme ailleurs, le droit de haute police : que les lois constitutionnelles ne soient pas attaquées par les instituteurs, que la morale publique ne soit pas outragée, que l’ordre social ne soit pas troublé, que les règles essentielles de l’hygiène ne soient pas transgressées, l’Etat a le droit de veiller à tout cela. Mais il est bien entendu qu’avant de pénétrer dans les établissements libres, comme avant de forcer la clôture de la vie privée, le gouvernement doit avoir, non de simples présomptions, mais uri commencement de preuve, car c’est un principe fondamental du droit naturel que personne n’est jirésumé mauvais..emu præsumitur malus. Au cas où un fait de notoriété publique ou un indice sûr vient détruire cette présomption favorable, il faut agir, mais avec prudence.

S’il est vrai, d’ailleurs, que l’autorité paternelle ne doive pas être absorbée par le pouvoir civil, qui est souventtentédemellre en pratique cette monstrueuse doctrine : o Les enfants appartiennent à l’Etal avant d’appartenirà leurs parents >., il estcertain aussi que le pouvoir du père de famille n’est ])oint absolu, inconditionné. L’enfant n’est pas la chose des parents ; sans doute, ceux-ci en sont les auteurs, mais il ne leur est pas loisible d’en disposer à leur guise, comme fait un artiste de la statue qu’a créée son génie. C’est qu’ici l’œuvre produite n’est pas un objet matériel, ni même un simple animal ; c’est unélre raisonnable, une personne morale en puissance, qu’il s’agit de faire passer en acte. L’enfant a droit à l’éducation. Les parents se rendent donc gravement coupables s’ils maltraitent leurs enfants, s’ils les élèvent mal ou ne les élèvent pas du tout. C’est pourquoi ils ont d’abord le devoir d’entretenir leur vie physique et de les corriger, quand c’est nécessaire, avec fermeté, mais une fermeté dont la bonté ne soit jamais absente.

Aussi, en cas de sévices et de mauvais traitements légitimement présumés, la police doit enquêter et, si les faits sont avérés, la magistrature doit punir les délinquants ; elle peut même, s’ils se sont montrés cruels ou corrupteurs, les déclarer indignes et déchus de la puissance paternelle ou maternelle. Ensuite, les parents sont tenus de développer la vie intellectuelle et morale de leurs enfants, en leur donnant ou leur procurant une éducation proportionnée aux ressources et à la condition de la famille. Aussi, lorsqu’ils faillissent grièvement à leur tâche, l’Etat, tuteur civil, doit intervenir pour rappeler au devoir ces tuteurs naturels de l’enfance et leur subroger, au besoin, dans leur fonction éducalrice.un autre membre de la famille moins avare ou plus diligent. Mais, ici encore, alin de préserver le foyer domestique d’intrusions policières intempestives, faut-il que le délit soit notoire ou prudemment présumable (cf. TAPAnKLLi u’AzKGLio, Essai théorique de droit naturel basé sur les faits, I. IV, cli. iv, n. 919). Bref, si des parents dénaturés sont assez durs pour refuser le nécessaire à leurs enfants, la puissance civile doit intervenir.

Mais ici une question délicate se pose d’elle-même : l’instruction primaire renlre-t-elle dans ce nécessaire, dont les parents ne peuvent priver leurs descendants ? Cette question ne semble pas comporter de réponse uniforme, mais dépendre de circonstances contingentes. Il peut exister des époques où l’instruction primaire ne soit pas, pour telle ou telle catégorie d’enfants, un viatique indis|iensable pour faire, comme on dit, convenablement leur chemin(cf. Costa-Rossbtti, Pliilosuphia morulis, p. "36). Mais, de nos jours, la réponse doit être allirmative, car celui qui est dépourvu d’une instruction élémentaire se trouve dans une infériorité nianifeste, qui le rend incapable de soutenir avantageusement la lutte pour la vie (cf. T. KoTUE, Traité de droit naturel théorique et appliqué, t. III, n. SyS. — A. Castelein, Ae Droit naturel, p. 719 sqq.).Il semble donc que l’Etat ait le droit de décréter l’instruction obligatoire, pourvu, évidemment, que la laïcité ne le soit pas, mais que les parents aient toute liberté et facilité pour leclioix des maîtres.

On peut aller plus loin et se demander : quel est le fondement de ce droit ? L’Etat, répondent habituellement les i]artisans de l’obligation, a le droit d’imposer à tous l’instruction, parce que, d’une part, les enfants devant être un jour citoyens, et, d’autre part, étant donnée la dilfusion actuelle des connaissances élémentaires, il a un intérêt majeur à ce que les futurs membres de la cité n’y entrent que suflisamment éclairés. Autrement, ces ignorants seraient un poids mort, qui ferait obstacle au progrès social.

A cette assertion j’opposerai que l’intérêt même général n’est pas plus la source du droit qu’il ne l’est du devoir, car il est variable et contingent, tandis que l’essence du droit et du devoir est d’être immuable et nécessaire. Toutes les injustices et toutes les tyrannies ont cherché à s’abriter derrière cette maxime de l’utilité publique. En s’appuyant sur elle, que ne pourrait-on justilier ? Par exemple, la prospérité d’un pays est singulièrement intéressée à ce que la race se maintienne saine et robuste. Dès lors, l’Etat aurait le droit d’édicter des règlements pour obtenir, par voie de sélection entre les futurs conjoints, une descendance excellente et nombreuse ; il l)Ourrait imposer certaines mesures relatives au genre de nourriture, de vêtement, etc. Sur tous ces points, des conseils sont de mise ; mais qui voudrait tolérer des lois matrimoniales et somptuaires ? Est-ce qu’un très grand nombre de citoyens ne sont pas intéressés à une répartition i>lus égale delarichesse ?