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INQUISITION

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conJamné était emprisonné dans un couvent de son ordre. Les couvents étaient d’ordinaire pourvus de cellules à cet elîel, où le régrinie n’était pas meilleur que dans les prisons épiscopales… C’était la tombe des vivants, connue sous le nom d’in paie. Dans ces fjeôles misérables, la nourriture était parcimonieusement servie. Cependant, bien que le réjjime normal des prisonniers lut le pain el l’eau, l’Inquisition permettait aux siens de recevoir d’autres aliments, du viii, de l’argent ; il est si souvent fait allusion à cette tolérance qu’on peut la regarder comme un usage établi. » (Lea, Histoire de l’Inquisition, I, pp. /, 8/, , 486, 492-)

Enlin, la pénalité la plus grave était la mort par le bûcher. Elle était prononcée non par l’Inquisition, mais par les juges civils lorsque les juges ecclésiasti <iui’S avaient convaincu un prévenu d’hérésie et, selon la formule consacrée, l’avaient abandonné au bras séculier. En laissant ainsi à l’autorité temporelle le soin de prononcer Vanimadfersio débita c’est-à-dire la peine de mort (Ev.meric, 11’partie, p. i^g). l’Eglise entendait rester lidèle au principe qui interdisait à ses ministres de verser le sang : Ecclesia ahhurret a sanguine.

Les sentences de l’Inquisition allaient frapper les morts jusque dans leurs tombes. « Les Romains avaient connu les jugements après la mort ; ils atteignaient certains criminels de lèse-majesté dont les procès pouvaient s instruire et se juger après le décès, entraînant en cas de condamnation la contisation des biens avec la spoliation des héritiers. L’analogie établie entre l’hérésie et le crime de lèsemajesté (analogie que nous trouvons dans la bulle d’Innocent III du a5 mars 1199, insérée dans les [)écrétales, , vii, 10) lit adopter pour la première les mesures rigoureuses de la loi romaine contre le second » (de Cauzons, Histoire de l’Inquisition en France, II, p. 354). Par conséquent, lorscpie des dénonciations ou les incidents d’un procès déjà

« ngagé semblaient indiquer que telle personne déjà

morte avait été hérétique, on instruisait son procès, conune si elle était vivante, on la jugeait et on prononçait contre elle les peines qu’elle aurait méritées si elle avait réellement comparu. Si la peine était la conliscation des biens, on les prenait à ses héritiers. Si la peine était la mort, on exhumait le corps du condamné devenu indigne de demeurer dans la terre sainte des cimetières chrétiens et on l’inhumait en un autre endroit. Les registres de l’Inquisition nous décrivent plusieurs de ces opérations macabres, et donnent le détail des frais qu’elles ont causés. Parfois même, pour frapper l’imagination des vivants, on promenait ces cadavres dans les rues des cités avant de les rendre à la terre. « Et ossa eoruni et corpiira felentia per villain tracta et voce tiliicinaloris fier vicos priiclamata el nominata dicentis : qui utal l’ara, atal périra (((ui fera ainsi, ainsi périra) », raconte le chroniqueur toulousain G. Peluisso cité par DE Cauzons (op. cit., 363).

Telle fut l’Inquisition dans l’Europe du moyen âge el en parlievilier dans le midi de la France. C’est en toute sincérité et d’après les textes que nous en avons décrit le fonctionnement, nous gardant bien de laisser dans l’ombre ou d’atténuer ce qui peut blesser ou étonner notre mentalité moderne. Il nous reste une dernière tâche à remplir, celle d’expliquer les faits que nous avons exposés, de les placer dans leur vraie lumière et de leur donner leur juste signilication. nous gardant à la fois des exagérations et des atténuations qui, en faisant perdreaux événements leur valeur exacte, faussent l’histoire.

Puisque nous ne faisons œuvre ni de tliéologien ni de casuisle, nous laisserons de côté la thèse sur

Tume II.

laquelle s’appuie le principe de l’Inquisition ; d’autres examineront si l’Eglise a le pouvoir coercitif et s’il est légitime de poursuivre pour cause d’hérésie [voir article HiinÉsiE]. Nous plaçant sur le terrain de l’histoire, nous nous contenterons d’étudier commenf l’Inquisition s’est acquittée de son rôle.

Que des abus, des irrégularités, des violences se rencontrent dans l’histoire de rin(]uisition, c est ce que nul historien ne niera, et ce qui d’ailleurs ne doit étonner personne. L’Inquisition a été une institution humaine, servie par des hommes ayant leurs haines, leurs passions, leurs vulgaires intérêts auxquels ils sacrifiaient, en même temps qu’ils défendaient les intérêts supérieurs de l’Eglise et de la société. Lea fait remarquer que parfois la peine de la confiscation, en excitant les convoitises, a i)u déterminerdes jugements iniques ; il est probable aussi que des haines personnelles ont pu dicter des dénonciations, peut-être même des condamnations. Il en est ainsi devant toutes les juridictions de ce monde. Celle des inquisiteurs s’est exercée dans des circonstances particulièrement dilliciles, en pleine bataille, si l’on peut s’exprimer ainsi, et sous la pression violente <les événements et de l’opinion. Là où l’hérésie était puissante, il fallait lutter contre l’opinion, arrêter de force les prévenus el c’est en tenant tête ainsi aux princes et aux populations hérétiques que les juges ecclésiastiques exerçaient leurs fonctions. Ailleurs, ils avaient pour eux les foules fanatisées contre l’hérésie et qui attendaient avec une impatience cruelle le jour où le Serma f^enernlis livrerait au bras séculier de nouvelles victimes, et au bûcher de nouvelles proies. C’est au milieu des cris de haine el de malédiction proférés contre les prévenus que les inquisiteurs jugeaient. II leur était didicile dans ces conditions de garder une parfaite sérénité ; qu’ils y aient parfois manqué et qu’eux aussi se soient laissé entraîner ])ar les passions violentes qui s’agitaient autour de leur tribunal, c’est naturel, el l’histoire le constate. Enlin, plusieurs d’entre eux avaient passé une partie de leur vie à discuter avec l’hérésie, à la combattre ; certains, tels que Robert le Bougre, inquisiteur de France, et Reynier Sacchoni, inquisiteur de Lombardie, avaient été eux-mêmes hérétiques et même Parfaits ; revenus à l’orthodoxie catholique, ils avaient poursuivi leurs anciens coreligionnaires avec une haine toute particulière, que la psychologie explique si la morale la condamne. Qu’inquisiteurs ils aient montré une passion qui ne sied pas à des juges el que plusieurs fois les évcquts el les pajies aient dû les rappeler à la modération, c’est encore ce qui n’étonnera personne. Ces considérations suflisenl déjà pour expliquer — sans les excuser — beaucoup d’abus el de rigueurs.

Mais à côté de ces juges violents ou cruels, il y en avait vm grand nombre qui, ayant sans cesse Dieu devant les yeux, huhentes Di-iiin præ oculis comme le disaient certaines sentences, se rendaient parfaitement compte de la gravité el des lourdes responsabilités de leur ministère. Prêtres ou moines, agissant pour la gloire de Dieu et la défense de la vérité, mus par des raisons d’ordre surnaturel, ils délestaient l’hérésie, mais étaient pleins de miséricorde poiu- les prévenus. Condamner un innocent leur paraissait une monstruosité et, comme le leur recommandaient les papes, ils ne prononçaient une seutence de condamnation que lorsque la culpabilité ne laissait dans leur esprit aucun doute. Ramener à l’orthodoxie un hérétique était pour eux une grande joie cl, au lieu de le livrer au bras séculier et à une mort qui coupait court à tout espoir de conversion, ils aimaient mieux viser de pénitences canonirpics el de pénalités temporaires, permettant au coupable de s’amender.