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INQUISITION

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Pas plus que le soldat, dans l’ardeur de la bataille, le juge et les autres dépositaires de l’autorité, sur leurs sièges, n’avaient le droit de prononcer des sentences capitales, n Dieu n’a pas voulu, disait Pierre Gahsias, que la justice des hommes pût condamner quelqu’un à mort (ibid.), et lorsque l’un des ade|)tes de l’hérésie devint consul de Toulouse, il lui rappela la rigueur de ce principe en lui recommandant quod nullo modo consentiret in judicando in iiiurtem alterius (Ihid., p. loo). Les hérétiques allaient-ils encore plus loin et refusaient-ils à la société tout droit de répression’? Il est dillicile de l’allirmer ; car si la plupart d’entre eux semblent le dire en proclamant quod nullo modo facienda Juslitia, quod Deus non voluit juslitiam, d’autres ne manquaient pas de restreindre cette négation aux sentences capitales. Ces derniers, toutefois, nous apparaissent comme des politiques atténuant par d’habiles restrictions la rigueur du précepte. La Somme contre riiérésie nous dit en elfet que toutes les sectes enseignaient quod iindicla non débet fieri, quod justitia non débet péri per hominem ; ce qui semble bien indiquer que la pure doctrine cathare ne reconnaissait pas à la société le droit de répression (Somme, p. 133).

En tout cas, par la prohibition absolue du serment et de la guerre, par la restriction ou même la négation du droit de justice, les Cathares rendaient diflicile l’existence et la conservation non seulement de la société du moyen âge, mais encore de toute société. ( Il faut l’avouer, dit l’auteur des Additions à l’histoire du Languedoc, les principes du manichéisuxe et ceux des hérétiques du xii’et du xiii* siècles, attaquant les bases mêmes de la société, devaient produire les plus étranges, les plus dangereuses perturbations et ébranler pour toujours les lois et la société politiques. »

Ce qui augmentait encore le zèle antisocial du catharisme, c’est le rôle considérable, prépondérant même, que jouait l’Eglise dans la société du moyen âge. L’Eglise, les hérétiques la niaient, la combattaient. Ils rejetaient le sacerdoce, les sacrements ; dans la hiérarchie ecclésiastique, ils voyaient une institution satanique ; le pape, les évêques, les prêtres, les moines étaient les suppôts du démon. Les cérémonies apparaissaient aux uns comme des rites vides de sens, aux autres comme le culte du Dieu mauvais en opposition avec le culte en esprit et en vérité, rendu par le Parfait au Dieu bon. On s’explique, dès lors, que les Cathares aient tourné en ridicule les institutions de l’Eglise et demandé la suppression des privilèges dont elle jouissait, des prérogatives, des principautés temporelles, des propriétés, des redevances qui lui appartenaient.

L’un des historiens qui a le mieux étudié l’Inquisition, M. Vidal, aboutit aux mêmes conclusions après avoir exposé Ir.s doctrines des derniers ministres catliarcs (/feti/e des questions historiques, avril et juillet 1909). « Nul ne saurait dire, écrit-il, les graves dangers auxquels eussent été exposées la société et l’Eglise par la ditfusion et la victoire de semblables doctrines. Non seulement l’Eglise et la société devaient se tenir en garde contre elles, mais on comprend qu’elles les aient attaquées et poursuivies ; et sans aller jusqu’à trouver excellentes toutes les armes employées contre leurs propagateurs, on doit reconnaître que les deux sociétés ne pouvaient guère, en ces temps et dans ces circonstances, s’empêcher d’user de rigueur à l’endroit de tels adversaires de la religion et de l’ordre social. Aujourd’hui encore, tout homme sensé jugerait digne de réprobation une doctrine, une morale qui conduiraient à l’indilférence de l’esprit à l’égard de

toute vérité, à l’émancipation totale de la liberté à l’endroit de toute contrainte, à la prédominance de la chair et de ses appétits sur la raison. C’était à quoi aboutissait le Catharisme » (pp. 47-48). On ne saurait mieux dire.

Le Manichéisme n’a pas été la seule hérésie des xi’, xii’et XIII* siècles. A côté d’elle et de ses nombreuses ramilications, on en voit naître et se développer plusieurs autres qui ont des traits de ressemblance avec elle, au point qu’on a parfois de la peine à les en distinguer. Telle est par exemple l’hérésie des Pauvres de Lyon ou Vaudois, appelés aussi Insabbatati ou Zaptati, qui sortit, après 1150, des prédications de Pierre Valdo, de Lyon, Après avoir, pendant plusieurs années, excité les méliances de l’Eglise, ils furent délinilivement condamnés par Lucios III, à l’assemblée de Vérone de 1184. Ils ne croyaient pas, comme les Cathares, au dualisme du bien et du mal, à la prédominance du démon sur cette terre, et à la création diabolique de l’iiomme. Ils semblent plutôt avoir nié la hiérarchie ecclésiastique, la plupart des sacrements, des rites et des pratiques de l’Eglise, qu’ils prétendaient ainsi ramener à la pureté évangélique, et ils nous apparaissent comme les précurseurs des puritains et des quakers plutôt que comme les continuateurs des Manichéens. Au cours d’une controverse qu’ils eurent, vers 1 190, dans la cathédrale de Narbonne, avec des docteurs catholiques, ils précisèrent leurs doctrines. Les six points sur lesquels porta la discussion étaient les suivants : 1° que le pape et les prélats n’ont pas droit à l’obéissance des chrétiens ; -2" que tout le monde, même laïque, a le droit de prêcher ; 3" que Dieu doit être obéi plutôt que l’homme ; 4" que les femmes peuvent prêcher ; 5° que les messes, les prières et les aumônes pour les morts ne servent de rien, le Purgatoire n’existant pas ; 6° que les églises ne sont d’aucune utilité. » (Lea, Hist. de l’Inquisition, I, p. 88.)

De pareilles doctrines et les conséquences qu’ils en tiraient devaient dresser les Vaudois contre l’organisation féodale de l’Eglise et, à ce titre, ils allaient passer pour des révolutionnaires voulant bouleverser l’état politique et social de leur temps. Mais de plus, le développement de leur système théologique, ou peut-être les influences cathares qui ne tardèrent pas à s’exercer chez eux, leur firent adopter des thèses antisociales, contraires à la conservation de n’importe quel Etat. Comme les Cathares, ils exagéraient l’ascétisme, séparant les femmes des maris et les maris des femmes, quand ils entraient dans leur secte. Ils proscrivaient le serment, même devant les princes, les magistrats et les tribunaux, et ils croyaient que Dieu le punissait aussitôt des peines les plus sévères. En iSai, un Vaudois et une Vaudoise furent amenés devant l’Inquisition de Toulouse et ils refusèrent l’un et l’autre de prêter serment ; ils donnèrent comme motif, non seulement que le serment est un péché par lui-même, mais que l’homme en le prêtant risquerait de tomber malade et la femme de faire une fausse couche » (Limborcb, Liber sententiarum iw/uisitionis Tolosanae, p. 289, cité par Lea, op. ci/., i, p. 90, notes). Enfin les Vaudois avaient pour les sanctions sociales et la guerre la même répulsion que les Cathares : ils les condamnaient absolument. Ces différentes sectes ne s’en tenaient pas à des rêveries individuelles et inoffensives. Leurs chefs prêchaient leurs doctrines aux foules, ils essayaient de toutes manières de les leur faire pratiquer ; et leur enseignement passait immédiatement de la spéculation à l’action, se transformait en actes violents et révolutionnaires. Lorsque, de 1108 à 1 1 26, T.a.nchelm propageait les doctrines cathares dans les lies de la