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INQUISITION

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nous signalent des bâtards de Croyants. La famille de Villeneuve, à Lasbordes près de Caslelnaudary, protégeait ouvertement l’hérésie ; or il y avait chez elle un spuritis, Ademar, frater iicitiiralis Poncii de VillaiiOi’a : et on peut en dire autant de plusieurs autres maisons seigneuriales du Languedoc, gagnées à l’hérésie, les Hunaud de Lanta, les sires du Vilar, les Mazeroles de Gaja, etc. (lind., XXIII, p. 18y, ici, io3, Bibl.de Toulouse, ms. Cog, fj 122).

Ces concubines et ces bâtards, qui paraissent si souvent dans les assemblées cathares, ont fait accuser les hérétiques des plus vilaines turpitudes. On a dit que leurs doctrines rigoristes n’étaient qu’un masque sous lequel se dissimulaient les pires excès ; et c’est ce que croyaient les foules qui racontaient sur leurs réunions les plus abominables détails. Mais d’autre part, certains louaient leurs austérités. Parlant d’eux, un catholique d’Albi s’exprimait ainsi : « Tenehant magnam castiiatem et faciebunt magiiam poenitentiam… et erant magne sanclilalis et magne abstinencie. » (Docais, Annales du Midi Les manuscrits du château de Menille, p. 185.)

Il est facile de résoudre cette apparente contradiction en se rappelant qu’il y avait deux sortes d’hérétiques, les Croj’ants, qui donnaient leur sympathie à la doctrine cathare, mais la pratiquaient incomplètement, et les Parfaits, qui devaient rigoureusement la suivre. Du moment que les premiers n’avaient pas reçu l’initiation entière du Consolamentum, ils n’étaient pas astreints à la stricte chasteté et ils pouvaient vivre avec une femme ; mais il y avait avantage que ce fût avec une concubine plutôt qu’avec une épouse légitime, parce que le lien qui l’unissait au Croyant pouvait plus facilement se rompre le jour où le Croyant, pour devenir Parfait, devrait renoncer à jamais aux plaisirs de la chair. Cela n’empêchait pas les Parfaits eux-mêmes de pratiquer la plus rigoureuse chasteté.

Il est inutile d’insister longuement sur les conséquences antisociales de pareilles doctrines. Elles ne tendaient à rien moins qu’à supprimer l’un des éléments essentiels de toute la société, la famille, en faisant progressivement de l’humanité une vaste congrégation religieuse sans lendemain. Enattendant l’avènement de cet ordre nouveau, les Parfaits brisaient peu à peu, par suite des progrès de leur apostolat, les liens familiaux déjà formés ; et ainsi, disparaissait, avec la famille, sa raison d’être, toute la morale du foyer.

Sans doute, on a fait au christianisme un reproche semblable. Lui aussi, àen croire cerlainsde ses ennemis, tendrait à la ruine de la famille et del’humanilé, par l’idéal de virginité monastique qu’il offre à chacun. Il y a cependant, sur ce point, une dilférence essentielle entre le christianisme et lecatharisme. Ce dernier faisait de la chasteté absolue la condition sine qua non du salut que tout homme doit rechercher ; l’Eglise au conlraire ne la présente que comme un idéal particulier, capable de séduire seulement une élite et nullement nécessaire pour parvenir au ciel. Dès lors, tandis que les Cathares proscrivaient absolument tout mariage, les chrétiens en font la loi de la grande masse, la virginité perpétuelle n’étant réservée qu’à de rares exceptions, et ils le proclament non seulement licite, mais encore juste et saint, mntrimonium temporale sanctum et justuni, comme le prêchaient, à rencontre des Cathares, les inquisiteurs catholiques (Sunima contra hereticos, pp. 96, gg).

A la haine de la famille, s’ajoutait, chez ces sectaires, la haine de la société. Ils s’interdisaient toute relation avec quiconque ne pensait pas comme eux, si ce n’est lorsqu’ils croyaient possible de le gagner à leur foi, et ils faisaient la même recommandation à

leurs Croyants. Au jour de l’examen de conscience ou apparelhumentum, qui se présentait tous les mois, les Parfaits leur demandaient un compte sévère des rapports qu’ils avaient pu avoir avec les inlidèles. Et cela se comprend : ils ne considéraient comme leursemblablequeceluiqui, comme eux, était devenu, par le Consolamentum, un fils de Dieu ; quant aux autres, qui étaient restés dans le monde diabolique, ils appartenaient, en quelque sorte, aune autre race ; ils étaient des inconnus, pour ne pas dire des ennemis.

Les engagements que prenaient les hérétiques en entrant dans la secte allaient à l’encontre des principes sociaux sur lesquels reposent toute nation et tout gouvernement.

Au jour de leur initiation, ils promettaient de ne prêter aucun serment : quod non jururent (formule du Consolamentum) ; car, enseignaient toutes les sectes cathares, y » ran ! en ?iim non débet fieri (Somme contre les hérétiques). Tout serment est illicite, disait le Parfait Pierre Garsias, qu’il soit faux ouqu’ilsoit sincère (DoAT, XXll, p. g6). L’inquisiteur Bkrnard Gri nous apprend que l’abstention de tout serment était un précepte général de la morale cathare (Practica. p. 289). Entre toutes les pratiques de la secte, la plus importante était l’acte solennel par lequel le converti s’engageait à observer, toute sa vie, lespratiques de sa nouvelle croyance ; c’était comme une profession de foi, accompagnée de vœux religieux. Or. même dans ce cas, le serment n’était pas admis ; on faisait une sinyile promesse, sans prendre Dieu pour garant de son exécution.

Il existe de nos jours des sectes religieuses ou philosophiques qui rejettent, avec la même énergie, le serment ; et l’on sait toutes les difficultés auxquelles elles donnent lieu dans une société qui, malgré sa « laïcisation », fait encore intervenir le serment dans les actes les plus importants de la vie sociale. Quels troubles autrement profonds de pareilles doctrines ne devaient-elles pas apporter dans les sociétés du moyeu âge, oii les relations des hommes entre eux, des sujets avec leurs souverains, des vassaux avec leurs suzerains, des bourgeois d’une même ville et des membres d’une même corporation ou d’une même confrérie les uns avec les autres, étaient garanties par le serment, où enCn, toute autorité tirait du serment sa force et même sa légitimité ! C’était l’un des soutiens les plus solides de l’éditice social que détruisaient les Manichéens, et en le faisant, ils avaient l’apparence de vrais anarchistes.

Us l’étaient vraiment quand ils déniaient à la société le droit déverser le sang pour se défendre contre les ennemis du dedans et du dehors, les malfaiteurs et les envahisseurs. Les Cathares en effet prenaient à la lettre et dans son sens le plus rigoureux la parole du Christ déclarant que quiconque tue par l’épée périra par l’épée ; et ils en déduisaient la prohibition absolue, non seulement de l’assassinat, mais de toute mise à mort, pour quelque raison que ce fût. nulto casu occidendum (Doat, XCII, p. 100 ; Somme contre les hérétiques, p. 133).

De cette thèse découlaient les plus graves conséquences sociales et, avec leur redoutable logique, les Albigeois les tiraient hardiment. Toute guerre, même juste dans ses causes, devenait criminelle par les meurtres qu’elle nécessitait. Le soldat défendant sa vie sur le champ de bataille, après s’être armé jjour la défense de son pays, était un assassin au même titre que le plus vulgaire des malfaiteurs ; car rien ne pouvait l’autoriser à verser le sang Ce n’était pas une aversion particulière pour la Croisade, mais bien leur haine de toute guerre qui faisait dire aux CaihareA quod prædicatores Crucis sunt omnes homicide (Do AT, XCII, p. 89).