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INERRANCE BIBLIQUE

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point de vue de l’inerrance, les textes prophétiques soulèvent des diflicultés analogues à celles que nous venons d’envisager à propos de l’histoire.

a) On doit commencer par voir s’il y a réellement prophétie. La question ne se pose pas pour les textes des Prophètes écrits sous l’inspiration divine, mais pour les livres des historiens sacrés dans lesquels se trouvent rapportés des discours tenus par des prophètes. Il ne s’ensuit pas ipso fado que ces paroles soient données couinie l’expression authentique de la pensée divine. L’inspiration n’était pas à la commande de celui qui avait le nom de prophète et en faisait habituellement la fonction. Au moins une fois, l’Ecriture (II Beg., vii, 4-1^) met en scène un proplièlc (Nathan) emporté par un mouvement naturel, et que Dieu fait se rétracter. Cf. S. Ghkgoire, in Ezech.. I, I, 16 ; P. /.., LXXVI, 7y3 ; S. Thomas, II H", q.i^i, a. 5. Il estelair que le cas étant exceptionnel, on n’est pas admis à le supposer sans preuve.

h) L’objet précis de la prophétie n’est pas chose facile à déterminer. Dieu avait promis des biens temporels à Israël en retour de son observation de la Loi, mais dans quelles conditions ? La promesse s’adressait-elle au peuple ou aux individus ? La réponse n’est pas aussi aisée qu’on se l’imagine avant que d’avoir étiulié la question d’un peu près. El pourtant, on la suppose résolue quand on prétend que les promesses n’ont pas été tenues. Au besoin, il sullirait pour écarter la dilliculté de faire observer que ces promesses courent d’un bout à l’autre de l’Ecritvire, et qu’Israël s’y est invinciblement attaché en dépit du démenti cruel que les événements nous paraissent leur donner. Le fait de cette confiance est inexplicable si l’on n’admet pas que les Israélites avaient, pour surmonter la difliculté, des raisons de croire à la Cdélité divine : ou bien ils s’estimaient sviffisamment récompensés (Ps. xxxvi, aS), ou bien ils avaient conscience de l’infidélité de la nation (/) ?((/, , xxxvi, 25), ou bien ils en étaient venus à comprendre la subordination des biens temporels et passagers à ceux de l’àme et de l’éternité (Sagesse, iii-iv).

c) Pour se rendre compte de la vérité d’une prophétie, on donnera une attention minutieuse à toutes les circonstances qui en précisent la portée. Il y a des prédictions conditionnelles ; si elles sont restées sans effet, c’est que quelqu’une des conditions dont dépendait leur réalisation ne s’est pas vériliée. Cf. Jon., II, g ; iii, 4 ; /inïe, xxxviii, i. Par ces mêmes exemples, on voit qii’il n’est pas nécessaire que le prophète ait, sur l’heure, conscience de prédire conditionnellement l’avenir. Dieu se réserve de manifester, dans la suite, le caractère véritable de la prophétie, soit par une révélation expresse, soit par la signification non équivoque des événements eux-mêmes. Des promesses divines non réalisées par la faute des hommes résulte naturellement un certain écart entre l’histoire et la prophétie. Si nous n’avions que le texte des Prophètes pour déterminer le rôle qu’Israël, en tant que tel, doit jouer dans le Royaume de Dieu établi par le Messie, il est vraisemblable que nous le représenterions assez dilTérenl de ce qu’il a été en clfet. Certes, il y a une différence entre Isa’ie, Lx, et.S. Matthieu, viii, 11-12. Le chap. xidel’Epilre aux Uomains permet d’entrevoir la place des Juifs dans le christianisme, s’ils avaient cru en masse au Messie.

d) C’est surtout dans la prophétie qu’il faut distinguer entre l’assertion et son expression, entre l’objet de la prophétie et les descriptions qui le rendent sensible. Cf. S. AU(iUST., ne civ. Dei., XVI, 11 ; P. A., XLI, ^79. Quand on découvrit l’inscription cunéiforme de Sennachérib, qui est en parallèle avec Isa’ie, X, aS-Si’i, on ne manqua pas de dire que la marche des

Assyriens envahisseurs n’avait pas été celle annoncée parle prophète. Les apologistes d’alors donnèrent du texte biblique des explications plus ou moins ingénieuses. Aujourd’hui, la plupart conviennent « qu’on ne peut pas tirer de la prophétie une indication très sûre de la marche suivie par l’invasion assyrienne » (ViGOUROUx), parce qu’Isaïe n’a pas voulu écrire d’avance {’histoire de la campagne, mais faire seulement une vive peinture du torrent dévastateur, qui va passer sur la Judée (Pillion et Trochon, après le protestant Franz Dkutzsch). Cf. A. Condamin, Le /.ifre d’Isaïe, p. gg. Au lieu de suivre l’ordre chronologique, comme fait l’historien, le prophète procède ordinairement par tableaux. Dans ces tableaux sans perspective, les événements se présentent sur un nièiue plan ; on dirait qu’ils se succèdent et se touchent, alors qu’en réalité des siècles doivent les séparer. C’est ce qu’on appelle le contexte optique. Il est incontestable que les Prophètes ont lié assez étroitement l’âge messianique avec le retour de l’exil ; ils yoyaienl, pe r mod II m iiniiis, les deux points extrêmes de cette dernière étape de la miséricorde de Dieu sur son peuple, sans mesurer exactement la distance qui les séparait. Les tableaux prophétiques présentent encore un autre danger à l’exégète distrait ou insuffisamment renseigné sur les procédés littéraires et psychologiques des prophètes. Le relief du trait, l’isolement de la scène ou du personnage peuvent, de |irime abord, produire l’impression que chaque tableau se siillit, alors qu’en réalité il ne donne à connaître qu’un aspect de la réalité. Si dilTérent que soit le portrait du Roi-Messie qui se lit au ch. xi d’Isaïe de celui qui figure au ch. i.iir, ils représentent bien l’un et l’autre une seule et même figure.

V. Religion et morale. — i. Religion. — La supériorité de la Bible en matière d’enseignement religieux est incontestée. Par leur religion, les Juifs l’ont emporté sur tous les peuples de l’antiquité, même sur les Grecs ; ils ont été les éducateurs de l’humanilé. Ils avaient conscience de leur mission. lloin.. II, 17-i/i.

a) D’après l’explication rationaliste, cette supériorité s’expliquerait uniquement par des causes naturelles. On a renoncé au paradoxe de Rknan sur le monothéisme spontané des Sémites, que l’histoire a totalement démenti ; mais on parle aujourd’hui d’i( évolution >>. Les Hébreux, qui étaient |)olylhéistes à l’origine, se seraient acheminés lentement au monothéisme, en passant par l’étape intermédiaire de riiénotliéisnie monolvtrique. C’est la théorie en vogue. Cf. E. Kautzscii, lieligion nf Israël dans Dict. of tlie mille (Hastings). Extra-vol., igo^, p. 612. Nous n’avons pas à envisager ici dans toute son étendue cette question de critique religieuse (qui est traitée dans Ctiristiis, p. 690) ; il suffit de faire voir que l’Ecriture n’a jamais rien enseigné de contraire à la religion naturelle ou encore au dogme chrétien. Pour être divine, c’est-à-dire fondée sur une révélation, il n’est pas nécessaire que la religion de la Bible n’ait connu aucun progrès. En fait, les textes forcent de reconnaître que, de la Genèse à l’Apocalypse, la lumière des révélations divines est allée en grandissant. C’est ce que la théologie reconnaît expressément (voir ci-dessus Docmk, col. 1180).

On sait que S. Paul appelle » temps d’ignorance », les siècles qui ont précédé l’Evangile. Actes, xvii, 30. Or, l’ignorance ou même la connaissance imparfaite peuvent facilement paraître des erreurs à qui les considère du point d’arrivée d’une doctrine, qui s’est constituée progressi emenl. Et ici, les exemples abondent. Un des plus saillants est l’idée que les Hébreux se faisaient des destinées d’oulre-tombe.