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INERRANCE BIBLIQUE

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conditions défectueuses de l’apologétique liililiquc, qui s’occupe d’histoire ancienne, voire même de l’histoire primitive ! Une circonstance dont l’attaque et la défense doivent pareillement tenir compte, c’est que nombre de récits qui selisentdans l’Ancien et le Nouveau Testament restent sans témoignage aucun dans la littérature profane, et à cause de cela sont incontrôlables. Pour en accréditer la vérité dii point de vue purement historique, nous n’avons que des considérations générales sur la valeur de la tradition juive et chrétienne. C’est sullisant, mais pas assez direct pour donner aux dilTicultés particulières une solution qui ne laisse plus de place à la réplique. Cf. S. AUG., De doctr. clirist., 111, ix, 13 ; /-’. L., XXXIV, 71.

Il n’est pas jusqu’aux crojants eux-mêmes qui ne compliquent parfois la tâche de l’apologiste. Habitués qu’ils sont à telle explication généralement admise, quel accueil font-ils à une solution nouvelle que des études ultérieures ont rendue légitime et nécessaire ? Le défenseur de l’inerrance biblique se heurte assez souvent à l’opposition de ceux-là mêmes qu’il a l’intention de servir. Conllit douloureux, mais inévilalde, entre l’attachement au passé et le souci de l’iicjire présente. Il peut bien relarder quelque peu certains progrès particuliers ; en délinitive, il est salutaire, puisqu’il contribue à assurer la sécurité doctrinale.

3. MétJiode à suivre. — Tous les apologistes se proposent de défendre la Bible, encore que tous ne s’y prennent |)as de la même manière. Cette divergence résulte de tendances différentes, qui se traduisent elles-mêmes par des procédés distincts. Un théologien, habitué à lu spéculation et aux synthèses, risque de se faire des exigences de l’inerrance biblique une conception a priori, trop exclusivement fondée sur la délinition de la vérité logique, sans avoir assez d’égard pour l’histoire et l’état concret des textes, leur genre littéraire, etc. Ue la sorte, il peut aboutir à des conclusions incompatibles avec les faits, et créer indûment un conflit entre la théologie et l’exégèse. Pour s’excuser, il ne lui sutlirait pas de dire : Mon rôle, à moi, est de faire la théorie de l’inerrance, à l’exégète et à l’apologiste de l’appliquer. Une théorie n’est recevable qu’autant qu’elle peut se réclamer de la tradition et s’adapter aux textes. La fornuile sommaire « la parole de Dieu ne saurait faire erreur » a besoin d’explication ; les termes « parole de Dieu » et a erreur » veulent être analysés. La parole de Dieu « ne s’exprime dans la Bible que par la « parole humaine ». Il sullit d’énoncer ce fait pour donner à conjecturer le nombre et la complexité des circonstances d’ordre historique et littéraire qui conditionnent rex|)ression de la <i parole de Dieu ». Cette expression a revêtu en effet tant d’imperfections qu’à la limite et au degré inGme île l’exactitude, un théologien ne réussira pas à justilicr l’inerrance du texte, s’il n’est doublé d’un philologue, d’un littérateur et d’un historien. Pour prendre conscience de cet état de choses, il suffit d’avoir lu une fois, avec attention, l’Ancien Testament. De son côté, l’exégète, trop contiant dans la criticpie, est exposé à traiter le texte sacré d’après la méthode historique seule, comme si la Bible n’était qu’un livre ordinaire. Perdant de vue l’unité et la transcendance que les Livres saints doivent à l’Esprit de Dieu, leur auteur, sans tenir un compte suflisant de l’analogie de la foi, il se laisse impressionner outre mesure par les dinicultés ; puis, sous prétexte d’une exégèse plus rationnelle et d’une apologie victorieuse, il en vient à ])roposer des explications réellement in compatibles avec la notion catholique de l’inerrance.

Loin de s’exclure, les deux procédés que nous venons de décrire se complètent et se contrôlent l’jin l’autre. Réunis, ils permettent d’aboutir à des résultats corrects. Récemment encore, Pik X recommandait aux exégètes catholiques de tenir une « voie moyenne » entre la témérité et la routine. Lettre à Mgr Le Camiif, Il janv. itjo6 ; Denz." p. 619, not. i. Au reste, ces conditions faites à l’exégèse et à l’apologétique biblique n’ont jamais varié sensiblement. Ce qui donne à penser qu’elles tiennent à des causes, qu’il n’est pas au pouvoir de l’homme de sipprimer. S. Augustin et S. Jr.RÔMK ont personnilié, au mieux, l’esprit théologique et l’espritcritique. Or, ils ont eu, il y a quinze siècles, les mêmes controverses qui divisent encore les catholiques d’après deux tendances, sinon en deux écoles. Cf P. /-., XXII, col. 83083^, 909-93 1, 935-953, 1 161, 1 1 99-1 181, S’ils ont réussi néanmoins à se rejoindre, ce n’est pas seulement par la volonté de rester orthodoxes ; les deux grands Docteurs ont encore eu la sagesse d’envisager le problème dans son intégrité, tout en l’abordant par des côtés différents. S. Jérôme a beau constater les libertés prises par les auteurs inspirés vis-à-vis de la littéralité des discours et de la matérialité des faits, il se refuse à les taxer d’erreur (hoc qiiippe impiorum est, Celsî, Porphyrii,./iiliani). P. /.., XXU, 5^5. De son côté. S, Augustin déclare qu’il considère comme compatible avec la vérité toute manière de dire qui se rencontre de fait dans les Evangiles. /"./.., XXXI V, 1091 ; cf. Recherches de science religieuse, 1911, p. 395.

Est-il besoin d’ajouter qu’on ne doit aborder l’apologétiqiie biblique qu’avec beaucoup de méthode’.' Il y aurait présomption à croire que le premier venu, sans préparation spéciale, ait qualité pour le faire. Au jugement de saint Jérôme, l’abus ne serait ici que trop réel. « Pour tous les métiers, écrit-il, on admet qu’un apprentissage est nécessaire ; pour l’Ecriture seule, on se croit autorisé à l’enseigner avant que de l’avoir apprise. i> Epist., un, 5, ad Piiulin., P. /.., XXII, 5/|ii. A son tour, S. Augustin déplore les résultats d’une apologétique ignorante et présomptueuse.

« Qu’un chrétien se fasse railler en défendant

des opinions fausses, la chose n’est pas de grande conséquence ; mais le mal est qu’on livre au ridicule nos auteurs sacrés, en faisant croire à ceux qui ne partagent pas nos croyances que ces assertions erronées se trouvent vraiment enseignées dans le texte… Ce que la témérité de ces présomptueux : interprètes crée de difficultés et cause de chagrin à leurs frères plus prudents, c’est ce qu’on ne saurait dire. » De Gen. ad litt., I, xix, 39 ; P. L., XXXIV,

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S’il n’y prend garde, l’apologiste se laisse attirer jiar l’adversaire sur un terrain où le combat pour l’inerrance ne devrait pas se livrer. La Bible est avant tout un livre religieux, conçu et écrit à la manière des anciens. Or, on nous en demande compte, comme on ferait d’un traité moderne d’astronomie et de géologie ; ou encore comme si elle était une histoire profane du monde, composée d’après les méthodes critiques d’aujourd’hui. L’apologiste n’a ni le devoir, ni le droit d’accepter la dilliculté ainsi posée. Le faire, c’est se condamner à l’insuccès, ou à une deces victoi-^ res précaires qui rendent plus douloureuse la défaite (lu lendemain. L’apologétique ainsi conduite a encore l’inconvénient de faire perdre de vue l’objet principal de la Bible qui est l’enseignement religieux. A force de ramener l’attention du croyant sur l’écorce du texte, de discuter devant lui les points par lesquels il touche à l’histoire profane ou aux sciences