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INDE (RELIGIONS DE L’)

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été connus île personnes qui n’avaient point entendu parler liu Bouddha.

Il s’agit, d’une i)art, de vieux tours de pense’e, de certaines idées « qui sont dans l’air », comme par exemple l’idée de maternités miraculeuses, très répandue à coup sûr. Les incioj ants attribuent le surnaturel évangélique à l’imagination pieuse ; et, pour semblable que l’imagination soitpartoutà elle-niêrae, ils souiiçonnent qu’elle a été guidée par certains thèmes légendaires sans date et sans patrie connues. Ainsi M. Bartb, critiquant les théories de Scydel, disait : « … Il restera toujours un certain nombre de rapports qui ne sauraient être expliqués de la même façon [similitudes fortuites…, surnaturel de la mise en scène pourainsidiredonnéd’avancej… Il y a là un vieux fond d’éléments mythiques qui existait à l’état flottant d’un bout à l’autre du monde antique et qui dispense de recourir à l’hypothèse d’un emprunt direct. » (Bulletin des religions de l’Inde, dans Jie’ue de l’Histoire des Religions, 1885, p. 4gdu tiré à part.

— Voir, pourla théorie de très vieilles données mythiques, la bibliographie de’Van den Bekg, p. io8 : Kern, dans Rœdigers Deiitscher Literatiirzeitung, 1883, p. 12-]6 ; îlxppBi., Jalirl/ucherProt. TheuL, 1883, p. 409 ; Pfleidkrbr, Vrchrislentum, 2, 1902, 1, 4'> ; Christusbild des urchrisilichen Glauhens, igoS ; Enistehung des Christentums, igo5, p. ig6.) Je crois qu’on est moins disposé aujourd’hui qu’en 1885 à croire au caractère mythique des données en question. Si mythe il y a, nous dirons que le mythe est créé à nouveau, lorsqu’il en est besoin’ : on ne voit pas que le bœuf, l’âne, les bergers de Bethléem rejoignent, dans une tradition préhistorique, les scènes bucoliques de la nativité et de l’enfance de Krishna. Si les épisodes krishnaïtes n’ont pas été influencés par le christianisme — et je suis à peine plus porté à le croire que M. Barth, mais quelques-uns le croient 2, — ils s’expliquent par le niilieu, de même que le récit de l’Evangile cadre avec les circonstances historiques et ! ocult=.

Il s’agit aussi de données dont quelques-unes appartiennent sûrement, dont plusieurs autres peuvent appartenir à la vieille sapience orientale ou indienne,

— car l’Inde est probablement la i>atrie des apologues el des contes. (Voir les travaux de M. E. Cosquin ; B.RTH, J. des Savants, nov.-déc. igoS etjanv. 1904.)

Je citerai comme exemple la parabole des talents i celle des trois marchands. D’après un livre jaina,

trois marchands partirent chacun avec son capital ; le premier lit de grands gains ; le second revint aussi riche qu’il était parti ; le troisième perdit tout. Otte parabole est empruntée à la vie commune. Il faut l’appliquera la Loi. Le capital, c’est la vie humaine ; celui qui perd son capital renaîtra dans un corps de damné ou d’animal ; celui qui le conserve renaîtra dans le inonde des hommes ; celui qui l’accroit de 1. L’idée d’enfants prédestinés assaillis par toute espèce de dangers ; le fils ou le neyeu que le méchant père ou oncle cherche à faire périr (voir la légende de Krishna ; comp. 1b bil)liographie de M. Van den Bekg, p. 80 ; Ltu-MANN, Congrès de Leyde, 188."i, II, 540, pour le Jainisme ; Beal, Rom. Legend, 1875, p. 103, pour le Bouddhisme) : je ne pense pas qu’il y ait lii de mythe proprement dit. Comp. C. Cle.men, p. 234.

2. Webeh, Krisnajanmâstamî, Méni. de ÏAcad. de Berlin, 1867, p. 338-339 ; Barth, Bel. de Vlnde, 1879, p. 13> ; Senart, Essai tur la légende de Bouddha, 1882, p. : it16 ; HoPKiNS, Christ in India ; Grierson, Kennedï, Keitii, dans J R A S. 1907, p. 311, 477, 951 ; 1908. p. 169. S.’î", 505 ; 1909, p. 607. — Je n’écrirais plus aujourd’hui ce que j’écrivais Ifi-dessus dans la Befiie biblii/ue de juillet 1906 p. 6 de l’article sur le Bouddhisme ;. Quand on sert-porte aux textes, on voit que le détail des parents de Krishna venus à Muttro « pour payer la taxe » s’explique assez bien.

viendra dieu… » Nous n’avons jamais soutenu, je pense, que toutes les paraboles de l’Evangile étaient inédites. Les paraboles, comme le dit la secte jaïna, sont empruntées à la vie commune. Celle des talents est-elle apparentée à celle des trois marchands, il est possible. C’est une question à examiner’.

Le Jâtaka 190 de la collection pâlie raconte qu’un bouddhiste, pressé de rejoindre le Maître, n’ayant pas de barque pour traverser la rivière Aciravati, îixe affectueusement sa pensée sur le Bouddha et s’engage résolument sur les eaux : ses pieds n’enfoncent pas. Cependant, à la vue des vagues [qui le distraient ], sa pensée d’afTection s’affaiblit : aussitôt il enfonce. Mais il renouvelle et fortilie sa pensée, et il achève la traversée. Les peines que prend M.’V’an den Berg pour prouver que ce Jàtaka est le modèle de Matthieu, xiv, 28, sont peines perdues^. Mais les savants qui rejettent en bloc ou en détail le surnaturel chrétien, seront portés à reconnaître ici une version d’une variété (traversée d’une rivière) d’un thème folkloristique bien connu : l’homme qui, par quelque magie ou quelque recette thaumaturgique, accomplit une tâche diflicile ; qui se trouble en cours de route et périt s’il ne retrouve pas le sésame. Le Jàtaka serait la version bouddhique de ce thème. Je n’en suis pas très sur, s’il faut l’avouer^.

1. Sacred Boohs of Ihe East, XLV, pp. XLii et 29 ; voir iVatth., XXV, 14 ; Luc.. xix, 11. — H. Jacohi renvoie uussi à l’Evangile suivant les Hébreux dans la Théophanie d’Eusèbe (PG., XXIV, 088) qui ollre des ressemblances plus étroites avec la source indienne. — M. R. O. Franke a conq)arë lîi parabole du semeur [Marc, i, 3-8, etc.) avec celle de Samyutla. IV, 315 : Un laboureur a trois champs, un bon, un médiocre, un mauvais ; il sèmera d’abord le bon, ensuite le médiocre ; enfin, il sèmera ou ne sèmera pas le mauvais : car ce champ peut au moins donner à manger au bétail. De même, le Bouddha enseigne aux moines, aux laïques croyants, aux mécréants. (Comp. Winternitz, Lesebuck de Bertbolel, [i. 313.) — Il faut oppo>cr.MilinJa, p. 248 : » < Un mt’» -iecin, capable de guérir toutes les maladies, dira-t-il : Qu’aucun malade ne vienne près de moi ! Viennent seulement les bien portants et les forts ! » — On peut rappi’ocher du « Beaucoup d’appelés, et peu d’élus », Anguttara, 1, 35 ; PrflyHd en 8.000 articles, p. 01. et, avec unpeude « parallélomanie », Z^/m/H/wa/jatia, 17’i, Cdânafarga, XXXVI, 8. Mais la pai-allélomaiiie est dangereu&e ! L’école Sàmkhya et Scot Erigène élablissent les mêmes quatre catégories : 1. Creans non creata [Praliriii ], 2. Creata et non creans [Shodaçaka], 3. Creata cl creans [Mahadâdayah], 4..Vo/l creans non creata [Pitrusha).

— La comparaison de la l’înâ, luth, dans Saniyutta, IV, 19" : w Quand lalyre est brisée, où donc e.st l’harmonie ? »

2. Dans lvncien Testament, dit M. Van den Berg, les traversées miraculeuses de la mer et du Jourdain se font à pied sec ; d’où on conclurait en toute rigueur que le miracle raconlé par Matthieu dépasse l’imagination palestini <-niie.’— Le détail « voyant les vagues » est plus naturel que le ^3/ ; Itw-> ôè Tà*> àv£/y.^-y, et l’abandon du navire par saint Pierre est beaucoup moins motive que l’entreprise du pieux laïque du Jàtaka, — circonstances qui prouvent le caractère secondaire de l’Evangile.-’— Tout cela, pour arriver à la modeste conclusion : « Il ne paraît pas impossible que l’épisode ait été emprunté, naturellement par des voies indirectes, à un cycle de pensées indiennes. »

3. Citons un cas où on a reconnu un « emprunt évident », et où nous discernons à peine la possibilité d’un « souvenir » folkloriste : — On lit, Jean, viii, 28 : Quicredit in me, sicut dicii Scriptura. flumina de rentre ejus fluenl aquæ liiae. M. A. Edmunds croit que « Ecriture » désigne ici je ne sais quel traité pùli où se trouve décrit un miracle catalogué parmi les manifestalions habituelles du pouvoir magique : " la partie ^uper ! eure du corps flamboie ; de lai>nrtie inférieure procèdent des torrents d’eau ».

— Si on soutient que la métaphore biblique repose iur ridée de fantasmagories aqueuses et ignées, on ne pourra que diflicilement rendre cette opinion plausible. Mais la fantasmagorie décrite dans le Patisamhbidflmagga a sans doute des attaches dans les croyances populaires.