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IMMUNITÉS ECCLÉSIASTIQUES

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grande musse des lioniiiies. Les philosophes déistes, qui réclament une exception pour eux-mêmes, no nous contrediront certainement pas. Ce principe posé, il est également incontestable que, sansclergé, il n’y a pas de religion possible, au moins pour la grande majorité des hommes. L’expérience prouve que toutes les religions se maintiennent et exercent leur influence par le moyen de leurs prêtres, et que, là où l’action du prêtre ne se fait pas sentir, la religion aussi est absente. Supposé même que l’on pût imaginer une religion sans prêtres, il est certain que la religion catholique ne peut exister sans clergé, puisque sans le clergé il n’y a ni Eglise, ni sacrements, ni sacrilices, ni enseignement religieux.

Ces deux points admis, il en reste un à établir, c’est que Icsdevoirsdu clergé catholique sont incompatibles avec le service militaire. Ce dernier point n’est pas plus sujet à conteste que les précédents. En elTet, le prêtre catholique doit étudier, olîrir le sacritice, prêcher, catéchiser, veiller à l’entretien du temple, résider au milieu des fidèles et leur administrer les sacrements ; le soldat, de son côté, doit étudier l’art de la guerre, se former aux manœuvres, vivre dans les camps et marcher contre l’ennemi. Le même homme ne peut évidemment renq)lir en même temps des obligations si différentes. Il est nécessaire que le prêtre catholique soit pieux, doux et chaste ; ces trois vertus ne sont pas, nul ne l’ignore, celles qui distinguent ordinairement le soldat.

Enfin, et cette raison est plus convaincante que tous les autres arguments, l’Eglise déclare expressément le sacerdoce et l’état militaire incompatibles, et interdit à ses prêtres l’usage des armes. Il n’appartient évidemment qu’à elle seule de juger des conditions requises pour exercer le saint ministère.

Mais, dit-on, le citoyen qui se destine à l’étateeclésiastique ne pourrait-il pas payer d’abord sa dette à la patrie, puis embrasser la carrière sacerdotale ? Non ; parce que le sacerdoce exige une longue préparation de l’esprit et du cœur, des études théologiques et l’exercice continué des vertus de jiiété, de douceur, de chasteté…, conditions que le soldat peut dilTicilement remplir ! N’est-il pas évident que la caserne, la vie des camps, ne constituent pas un milieu favorable à la formation d’un lévite ?

Qu’on ne dise pas que c’est là une épreuve qui permet de faire une sélection, de garder les forts et d’écarter les faibles, qui succombent. C’est à l’Eglise qu’il appartient d’éprouver les vocations, en soumettant les jeunes lévitesà des épreuves proportionnées. Mais éprouver une vocation n’est pas l’exposer à des occasions auxquelles il est moralement impossible de résister. Léon XIII, dans sa belle encyclique ^ampridein, du 6 janvier 1886, aux évêques de Prusse, sur la situation du catholicisme en Allemagne, revendique avec force le droit absolu de l’Eglise de former ses ministres, et par conséquent, pour les évêques, le droit plein et entier déformer dans l’école des séminaires, loin de la dissipation, des bruits du monde, des périls des camps, la milice pacilique de Jésus-Christ, le droit de choisir à leur gré les prêtres à placer dans les divers postes, et de pouvoir sans obstacle s’acquitter de leur devoir pastoral. (Cf. Acia Léon. XIU, vol. VI, p. 8 sqq., Romæ 1887 ; f.etlres apostoliques de I.éoii XllI, t. II, p. ji sqq., édition des Questions actuelles.)

Il est donc absolument certain que les besoins religieux des citoyens catholiques ne peuvent être convenablement satisfaits, si le clergé n’est pas exempté du service militaire.

.u reste, le droit de l’Etat, en matière de service militaire, ne s’étend pas au delà de ce qui est exigé pour la défense du pays au dehors et le maintien de

l’ordre à l’intérieur, et le léger appoint que le clergé fournirait à l’armée n’est nullement nécessaire pour atteindre ce double but. L’Etat peut en même temps satisfaire largement aux besoins de l’ordre matériel et aux besoins de l’ordre moral ; par conséquent il est tenu d’en prendre les moyens, et l’un des plus nécessaires, c’est l’exemption du service militaire pour les clercs.

Celte démonstration nous paraît suffisante pour convaincre les plus opiniâtres de nos adversaires, pourvu qu’ils soient de bonne foi. Cependant, elle ne résout pas l’objection la plus commune et la plus considérable aux yeux du grand nombre, celle qui se tire du principe de l’égalité de tous les citoyens devant la loi. Les clercs, dit-on, participent aux avantages de la vie sociale, comme les autres citoyens, ils doivent donc, comme eux, en supporter les charges.

Le vice de ce raisonnement vient précisément de la supposition que les clercs ne supportent pas leur part, et une large part, des charges communes. Cette supposition est fausse, car les prêtres rendent à la société, par l’exercice du saint ministère, des services bien supérieurs à ceux qu’ils lui rendraient comme soldats. Us n’emprisonnent pas les criminels, mais ils préservent ou purilient les cœurs des atteintes du vice ; ils ne vont point au dehors combattre l’étranger, mais ils luttent, au sein des populations, contre des ennemis bien autrement redoutables, la corruption des mœurs, l’impiété et l’ignorance.

Il en coûte moins au prêtre qu’au soldat, dit-on encore. Cette objection, fût-elle vraie, ne prouverait rien ; mais elle est fausse. Les sacrilices exigés du prêtre, sacrifices des plus belles années de sa jeunesse consumées dans la studieuse et austère retraite du séminaire, sacrifice éternel de sa liberté, à laquelle il renonce au jour de son ordination, sacrilice des divertissements et des fêtes du monde, sacrilice de la vie de famille, et mille autres que le monde ne comprend pas, sont beaucoup plus grands que ceux du soldat. Aussi, pour un jeune homme qui offre de se consacrer à Dieu dans le sacerdoce, en trouvet-on vingt ou trente qui préfèrent la carrière militaire.

Donc les principes du droit naturel exigent que le clergé catholique soit exempté du service militaire. Si maintenant nousenvisageons la question au point de vue du droit civil moderne, nous arrivons à la même solution. En effet, l’un des principes modernes les plus vantés n’est-il pas précisément celui de la liberté des cultes ? Or, comment le culte catholique serait-il libre, si les lois de l’Etat opposent, par l’obligation du service militaire imposé aux clercs, un obstacleinsurmontable au recrutement duclergé ? Evidemment cette obligation équivaudrait pour la religion catholique à une véritable persécution, puisque sans clergé il n’y a ni sacrifice, ni enseignement, ni sacrements possibles. Quelle liberté le citoyen catholique aurait-il, sous une telle législation, de pratiquer son culte ? Sa conscience lui ordonne d’entendre la messe, dese confesser, de communier, d’assister à la prédication de la parole de Dieu ; si la loi civilele prive de prêtres, il se trouvera mis parl’Elat dans l’impossibilité matérielle de remplir ses devoirs religieux. N’est-ce pas là une véritable persécution, et la plus odieuse de toutes, puisqu’elle se cache sous les dehors de la légalité ?

Dernière objection. L’immunité du service militaire accordée aux clercs peut, dit-on, causer un grave préjudice à l’armée, puisque les évêques sont libres d’ordonner autant de prêtres que bon leur semble. Cette difficulté ne se soutient pas, pour deux raisons. La première, c’est que, pour conférer les ordres, il faut des candidats et que ceux qui se présentent suf-