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IDEALISME

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traire qu’elle se rapporte originellement à un objet extérieur et réel, l’argumentation de Berkeley non seulement croule par la base, mais se trouve tlireclement inlîrmée par lesfaits. Et sansdoule Berkeleyne s’est-il pas tellement trompé, en faisant sortir de l’hypothèse des idées-images et de son principe fondamental d’une conscience primitivement enfermée en soi, l’immatérialisnie qu’ils contiennent, pourrait-on dire, virtuellement : mais ce qui fait avant toute chose la faiblesse de limmatérialisnie, c’est précisément de s’appuyer sur un fondement aussi ruineux. 3° Reste une seconde objection d’ordre général, où l’inlluence de Descartes, de sa physique cette fois beaucoup plus que de sa psychologie, ne laisse pas de se faire également sentir. Elle est prise de la théorie mécaniste des qualités sensibles, aux termes de laquelle celles-ci se réduiraient en dernière analyse à des mouvements ou à des groupes de mouvements se traduisant en nous, selon leur nature propre et la nature de l’organe affecté, par des impressions différentes, soit d’ailleurs que l’on considère les diverses espèces de sensations (sons, couleurs, etc.), soit que l’onenvisage lesdiverses sensations tj-pes d’une même espèce (ré, mi, fa…rouge, vert, violet, etc.). Par exemple, les sensations visuelles ou lumineuses se trouvent ainsi répondre à des vibrations transversales de l’éther, les sensations auditives à des vibrations longitudinales de l’air, les sensations gustatives et olfactives aux mouvements atomiques ou moléculaires, probablement rotatoires, dans lesquels se résout le processus chimique qui représente le côté rigoureusement matériel de l’olfaction et de la gustation. Quant à la nature des organes, c’est une condition qui est bien près de revenir à la précédente, puisqu’on incline à considérer les différents nerfs sensibles dont l’épanouissement périphérique représente l’élément proprement actif des organes mêmes comme naturellement harmonises ou accordés, dans leurs parties élémentaires, avec des vibrations de formes diverses et à expliquer de la sorte ce fait général, qu’ils ne réagissent pas indifféremment à toute excitation quelconque, mais seulement à des excitations déterminées pour chacun. Cf. C. Gutbeulet, Die Psychologie, p. 30 sq. Vibrations, mouvements, c’est donc, scientifiquement, tout ce qu’il y aurait d’objectif dans ces qualités des corps : le monde des sons et des couleurs, des saveurs et des odeurs, etc., ne serait qu’un monde d’apparences, résultant d’une sorte de projection dans la conscience du seul monde réel, lequel serait de nature exclusivement mécanique. — L’examen de cette nouvelle difficulté nous entraînerait loin, à le poursuivre du moins dans le détail. Xous pourrions montrer : i° qu’assurément la science, pour expliquer la diversité des sensations, met en avant l’excitabilité spéciliquc des nerfs, mais que, sans parler de la réalité des organes reconnue dès lors ipso fado Avec toutes ses conséquences (cf. supra, 2"), cette excitabilité spécilique des nerfs consiste précisément dans leur adaptation respective à des conditions extérieures différentes (isochronisme de vibrations, etc.), et que la diversité sensible est bien à ce compte le fait de l’objet lui-même ; que, l’élément objectif des couleurs, sons, etc., se ramcnàt-il

sicut in suhjecto, ol secundiiin liane comparationoni excedit mfnîfm, itiquantum alia a nienlc [un non-moi) per notitiam co^noscuiitiir. » — A propos de cette action objective, reçue immatériellement dans la puissance du sujet et déterminant en lui la sensation en même temps qu’elle lui appoi-te la révélation de rcxtériorité, etc. cf. également 5.’/'//po/., I p., q. 78, a. 3 : a Exteiius immntatifum est quod per se a sensu percïpitur, … secundum quod forma imiiritaatis recipitiir in immutato secundum esse spirituale, ut forma coloris in pupilla, etc. »

tout entier à des vibrations ou à des mouvements, il resterait au moins les réalités étendues qui en sont le siège, ce qui suffirait à la rigueur pour qu’il y eût des corps ; en un mot, que seules les qualités secondes sont ici en cause et qu’au point de vue de la science (or il ne s’agit pas présentement d’autre chose) leur subjectivité ne s’entendrait précisément que par l’objectivité des qualités premières ; ou, comme parlent certains auteurs, que leur subjectivité

« formelle » ne supprime pas, au contraire suppose

leur objectivité o causale », Il y aurait lieu de rechercher aussi et 2° jusqu’à quel point la réduction des qualités secondes elles-mêmes à de simples mouvements (ou leur subjectivité formelle) peut être tenue pour acquise ; si, ramené à ses proportions exactes, le double fait dont on se réclame communément à cet égard (des excitations différentes sont perçues par nous comme identiques lorsqu’elles affectent un seul et même sens, une excitation identique est perçue par nous comme différente selon qu’elie affecte des sens différents) ne comporte pas d’autres interprétations qui laissent intact le principe de l’objectivité formelle, cf. Th. Dubosq, Conlribution à l’étude de l’ohjectifité formelle des couleurs, p. 34 sq., LoTZE, Metaphysili, § 226 (p. 627 de la trad. fr.), BbbgsoN, Malit’re et mé moire, i’éàil., p. 42, Driesch, The science and philosophy of organism, t. II, p. 8^ sq. ; si, en conséquence, notre argument antérieur, fondé sur le caractère objectif des qualités sensibles en général, ne reprendrait pas dans l’espèce toute sa valeur, c’est-à-dire ne déciderait pas définitivement la question dans le sens de l’objectivité, non seule ment causale, mais même formelle des dites qualités secondes ; si enfin la critique des deux objections, scientifique, ou prise du mécanisme, et psychologique, ou empruntée au subjectivisme cartésien, ne se tournerait pas de la sorte, jusque sur ce point précis, en une preuve nouvelle du réalisme. — Mais, sans pousser plus avant dans cette voie, bornons-nous à poser une simple question : est-il bien sûr que ce soient les savants au pied de la lettre, c’est-à-dire comme savants, qui professent la subjectivité des qualités sensibles ? ou ne seraient-ce pas tout simplement les philosophes, comprenant les savants à rebours et leur faisant dire ce qu’ils ne disent pas eux-mêmes, ce que, au surplus, ils n’auraient sans doute pas qualité pour dire ? cf. C. Mélin.vnd, Vn préjugé contre les sens, dans/^ei’»e des Deux Mondes, t. CXLIX, p. 439. Pris en effet dans sa signification stricte et rigoureuse, à quoi revient en cette matière le témoignage de la science ? A ceci, que les qualités secondes ont pour coH(/i/ioH des mouvements. ni plus ni moins. La science nous dit que lorsque nous entendons tel son ou voyons telle couleur, lorsque tel son se produit ou telle couleur apparaît, l’air ou l’éther vibre tel nombre déterminédefois par seconde, avec telle amplitude déterminée des vibrations, et voilà tout. La science en tant que telle ne nous dit pas que cette couleur ou ce son en tant que tels n’existent pas hors île notre conscience, ou, ce qui revient au même, qu’ils se i-éduisent exclusivement, dans la réalité objective, à ces vibrations du milievi sonore. Et comment nous le dirait-elle ? elle n’en sait rien, elle en ignore absolument ! Ce qui est vrai, et ce qui est aussi tout autre chose, c’est que la science ne se préoccupe, dans le phénomène complexe et total, que de cet élément ou condition mécanicpie, parce qu’il se prèle seul à la détermination quantitative, à laquelle l’idéal serait pour elle de tout ramener. La science, par conséquent ne supprime pas la qualité du monde extérieur, pour n’y laisser subsister que la quantité : elle fait abstraction de la qualité pour ne tenir compte que de la quantité, ce qui est tout