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IDEALISME

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ou absolu de la pliilosopliie allemande postkantienne. Dans la pensée de Fichte (seconde manière), de Schelling et de Hegel, comme aussi de Schopenhauer (théorie du Monde comme Volonté) et de Hartmann, l’objet est tout autre chose qu’une production de notre sujet ; l’explication qu’ils proposent en ce sens de la genèse des êtres naturels a bien l’air d’être tout simplement (pour différente qu’elle devienne en détail avec chacun d’eux) un effort à concevoir ou à imaginer le procédé créateur de l’Etre absolu ; el l’on ne voit plus trop quel sens peut bien conserver chez eux l’esse est percipi — à preuve, entre autres faits, la place considérable qu’occupe dans la métaphysique de Schelling la philosophie de la Nature. Telle est, à tout prendre, l’impression dominante que l’on garde de leurs systèmes, et sans préjudice des flottements et comme des reculs vers l’idéalisme subjectif qui s’y constatent à maintes reprises ; car, à dire vrai, on nesaitjamaisaujusle, avec un Fichte par exemple, à quel moi on se trouM’avoir afTaire, le nôtre ou un autre moi illimité qui le dépasserait à l’inlini : mais aussi bien avons-nous déjà distingué chez lui deux manières, et nous aurons lieu d"y revenir, à raison même de cette alternance presque continuelle de l’une et de l’autre. — Passons à l’idéalisme siibjectif. Des trois ou quatre formes qu’il revêt lui-même, il y en a une q>ie nous devons écarter, encore et toujours, comme ne réalisant pas à la lettre la déûnition de l’idéalisme : c’est l’idéalisme transcendantal ou critique. Assurément, l’universel et le nécessaire étant l’unique réalité ou à ])eu près, disons mieux, l’unique élément de la réalité qui intéresse la science, faire dériver cet universel et ce nécessaire de pures formes constitutives de notre esprit, c’est déjà ramener, en ce sens même, toiUe réalité à la réalité de l’esprit ou du sujet — comme c’est encore tendre à l’y ramener, notamment en ce qui concerne les corps, que d’ériger en principe r « idéalité » de l’espace (Esthétique transcendantale ) : et c’est par où se justifie l’appellation d’idéalisme que l’auteur de la Critique de la raison pure a lui-même décernée à sa doctrine. Mais il faut bien remarquer pourtant que Kant ne laisse pas d’admettre quelque chose d’extérieur à la conscience ou au sujet, quelque chose de « donné », la « matière » dr la connaissance ; le point de vue général auquel il s’est placé, distinction entre la matière el la forme de la connaissance, précisément, celle-ci subjective, celle-là objective, implique nécessairement l’extériorité ; et parce ci’ité, par ce minimum de réalité laissé à l’objet de la connaissance, le criticisme kantien ne peut pas, lui non plus, être tenu pour un idéalisme au sens étroit du terme, mais seulement pour un idéalisme transcendantal, justement, c’est-à-dire rapportant au sujet ou à la pensée tout ce qui dans le contenu de nos représentations dépend de leurs conditions ou éléments a priori, et n’y rapportant que cela même — bref pour un serai-idéalisme. Au surplus, ila été icimême l’objet d’uneétude approfondie, qui, de toute manière, nous dispenserait d’y insister Voir CniTicisMB.

3" En dernière analyse, il ne reste que deux ou trois types d’idëalisme rigoureux, celui de Berkeley, celui de Fichte (aussi longtemps qu’il s’en tient à notre moi ou sujet fini) et celui de Hume et deStuart Mill. Avant de les aborder pour tout de bon, un mot sur les origines générales de cette subtile et étrange phili)so|)liie, dans laquelle s’accuse à son maxinniiu d’acuité le conllit moderne de ce qu’on appelle la raison critique et du sens commun : il n’en devient que plus intéressant de rechercher par quelles causes s’explique le succès dont elle a joui depuis deux siècles. — Si nous voyons bien, il y a de ce fait deux

raisons principales. La première est plutôt d’ordre scientifique en elle-même. Il s’agit de la subjectivité des sensations, laquelle serait effectivement, au moins pour une part, établie par la science. Nous y reviendrons avec plus de détail en temps opportun, lorsqu’il nous faudra discuter cet argument de l’idéalisme — car ce fait général est devenu dans l’idéalisme un argument, — mais sans y insister davantage, on comprend d’ores et déjà qu’une semblable découverte ait pu produire sur les esprits, au premier moment, une impression assez forte pour qu’ils perdissent tant soit peu l’équilibre, c’est-à-dire pour qu’ils tirassent de cette découverte des conclusions qui ne sont, nous le verrons aussi en son lieu, rien moins que logiquement autorisées. — La seconde raison est, elle, d’ordre proprement pliilosophique. Elle tient à l’avènement du point de vue subjectif dans la spéculation moderne avec Descaktks. Non pas que, pour se placer de la sorte au point de vue subjectif, pour faire de la conscience le centre de perspective universelle et pour partir uniquement du fait de conscience en tant que tel comme de la première certitude immédiate, on doive inévitablement aboutir à l’idéalisme ; ce serait, en réalité, une question à discuter, si, encore une fois, on a en vue un rapport logique et nécessaire. Car, s’il ne s’agit que d’un fait à constater, c’est déjà tout autre chose, et c’est aussi juste ce que nous voulions dire. En fait donc, on conçoit pareillement qu’à force d’insister sur le témoignage du sens intime et sur son évidence particulièrement irrésistible, lesphilosophes modernes ensoient vite venus à laisser dans l’ombre les autres témoignages, à ne plus reconnaître, en tout cas, à nos autres facultés empiriques de connaître (par exemple les sens) une certitude, sinon aussi éclatante, tout au moins également réelle. On conçoit surtout qu’après avoir ainsi concentré leur attention sur la conscience, ils aient été facilement induits à la supposer dès l’origine enfermée pour tout de bon en elle-même, comme eux-mêmes s’étaient, par artifice de méthode, enfermés en elle ; et que la difficulté qui en résulta bientôt d’expliquer comment elle peiit bien, à un moment donné, sortir de soi pour atteindre l’objet extérieur, n’ait pas tardé à faire naître des doutes sur l’existence réelle de celui-ci. Redisons-le, il resteraitàvoirce que, en rfro/(, il faut en penser : toujours esl-il qu’il y a là, en fait, un enchaînement historique d’idées incontestable et trèscompréhensible. — N’oublions d’ailleurs pas de noter que des deux causes signalées, les effets ont été pour, ainsi dire convergents : la science mettant on croyant mettre en lumière la subjectivité des données sensibles juste au moment où la philosophie relevait le caractère absolu de la certitude de conscience, la conscience elle-même pouvait-elle ne pas apparaître plus que jamais comme le domaine par excellence du réel, jusqu’à absorber même toute réalité au détriment du monde, du prétendu monde extraconscient ?

4" Voilà pour les origines lointaines de l’idéalisme, ou pour les raisons générales de la faveur qu’il a rencontrée auprès des penseurs. Voici pour ses origines prochaines, c’est-à-dire pour les auteurs (pii, directement, l’ont mis au jour, au moins quant à ses trois formes principales.

1° Idéalisme immatérialisle de BKnKKi.Kv (que Kant appelle idéalisme miiti^rieh jxuir le contradistinguer de son idéalisme formel). Il n’y a pas lieu de reprendre ici l’exposé détaillé de son système ; bornons-nous à rappeler comment les deux influences combinées de MAi.iîBRAN< ; niî et de Loi’.kh s’y exercent pour aboutir à un même commun résultat, en d’autres termes, comment Berkeley jette délibérément par dessus bord, en ce qui concerne le monde maté-