Page:Adhémar d'Alès - Dictionnaire apologétique de la foi catholique, 1909, Tome 2.djvu/124

Cette page n’a pas encore été corrigée

235

GALLICANISME

236

A) L Eglise et l’Etat à l’époque mérovingienne.

i) Entre les rois francs et les Eglises gallo-romaines^ de très bonne heure leurs alliées et bientôt leurs sujettes, les relations ne se laissent pas facilement ramener à un système précis et cohérent. Elles ont quelque analogie avec celles qui s’établissent spontanément entre les curés et leurs paroissiens inlluents. Les droits respectifs sont théoriquement distincts ; mais dans la famille chrétienne comme dans l’administration paroissiale, les inlluences s’entremêlent et parfois se heurtent sans pouvoir se démêler. Assimilation d’autant plus légitime que la royauté barbare a conservé un caractère familial très accusé, et que le droit privé, dans cette société qui peu à peu redevient primitive, absorbe en grande partie le droit public : les évoques jouent un rôle politique, administratif, judiciaire, moral, irréductible à nos catégories modernes ; en revanche les rois ont sur la vie ecclésiastique une action des plus étendues. Dire qu’ils ont été les chefs de l’Eglise mérovingienne, est une exagération, voire une erreur ; ils ont pourtant exercé à son égard, mais du dehors, des prérogatives qu’aujourd’hui nous ne reconnaîtrions qu’à un chef. Ainsi s’établissent des précédents que le gallicanisme savant invoquera plus tard.

En vertu de quel droit les rois barbares dominent-ils l’Eglise ? On a voulu voir là une survivance des traditions religieuses de la Germanie. Le roi franc aurait eu un caractère sacré, transposition chrétienne des légendes païennes sur l’origine divine de la race royale. l’appui de cette théorie du caractère sacré de la monarchie franqiie. on ne cite guère que des textes de l’époque carolingienne : l’onction de Reims est une légende imaginée par les clercs du ix" siècle et qui n’a sûrement été pratiquée envers aucun des successeurs de Clovis, en tout cas elle n’est pas une réminiscence germanique, mais biblique ; par ailleurs, malgré leur souci d’imiter l’étiquette byzantine et de se rattacher à la hiérarchie impériale, les rois mérovingiens ne pouvaient hériter du prestige religieux dont jouissait encore, enGaule même, le successeur de Théodose, régnant àConstantinople. Il faut chercher autre cliose.

Dans l’Etat qu’il a conquis, et vis-à-vis des vaincus aussi bien qu’à l’égard de ses anciens compagnons de victoire, jadis presque ses égaux, le roi franc est devenu le maître : maître des terres et maître des hommes. Il lient sa dignité de sa naissance, mais sa puissance vient de la gloire de ses conquêtes {cf.G.KvRTa, Les origines de la cirilisalion moderne, II, 65 sq.). Il est tout l’Etat, quoiqu’il ne fasse rien sans l’assentiment des grands et du peuple, toujovirs mentionnés dans ses actes. Dans cet Etal embryonnaire, l’Eglise, comme les autres sociétés partielles, vit suivant sa loi, avec ses droits naturels ou acquis pendant la période gallo-romaine. Ses clercs sont sujets du roi, liés à lui par le serment de fidélité : ils entreront plus tard, eux et leurs Eglises, dans la mainbour royale et participeront ainsi aux droits du prince sur ses domaines. Ce maître est catholique : Clovis est le premier barbare dont les intérêts, pviis la foi, sont les intérêts et la foi du clergé orthodoxe. Il n’est pas encore chrétien que les cvêques arvernes pressentent en lui un allié contre ie Wislgoth arien et étroitement nationaliste. Dès que Clovis est baptisé, du fond de la Burgondie, arienne elle aussi, S..vit de Vienne le salue avec enthousiasme. L’Eglise peut proposer à ce nouveau catholique l’exemple de Constantin et surtout celui des pieux rois de Juda. L’alliance de fait de l’Eglise catholique des Gaules avec le roi franc, les souvenirs des histoires ecclésiastiques et

bibliques, les nécessités du moment, la pratique de la recommandation, le despotisme naturel aux princes barbares sullisent à expliquer la nature des relations établies dès l’origine entre les deux pouvoirs et leur développement ultérieur. Quehpies points — qui ont le caractère d’institutions stables — doivent être précisés.

2) En 51 1. Clovis réunit à Orléans, presque à l’ancienne frontière wisigothique, l’épiscopat de tousses Etais (nord, ouest, sud-ouest des Gaules). Il le consulte : comment traiter les criminels recourant à l’asile ecclésiastique, les ravisseurs, les esclaves fugitifs ; qui peut autoriser un laïc à se soustraire aux charges communes en se faisant clerc ; comment administrera-t-on et emploiera-t-on les donations royales ; quel recours au roi auront les clercs inférieurs, etc., etc., questions intéressant pour la plupart l’ordre public ou les relations du prince avec l’Eglise. On dirait un concordat partiel, dont Clovis demande à ses évêques de fixer les articles. Cent ans plus tard, le V concile de Paris (61/() présentera presque le même caractère, seulement Clotaire II, dans l’édit de 61 5, modifiera légèrement les décisions épiscopales et l’Eglise acceptera sa législation.

Au contraire, les premiers conciles nationaux qui suivirent le concile d’Orléans s’occupèrent principalement d’introduire dans la France du Nord la discipline inspirée par Cks.ire d’Arles. L’action royale ne s’y fait guère sentir que par la convocation ; encore peut-elle s’expliquer par le fait que, dans ce royaume composé de diverses provinces ecclésiastiques, sans primatie ni vicariat apostolique ayant plus qu’une autorité théorique, les évêques n’avaient point, en dehors du roi, de supérieur commun qui pût les assembler. Ce précédent créa pourtant une coutume, et sans qu’on puisse affirmer qu’aucun concile ne se réunit alors en dehors de l’appel royal, on compte généralement, parmi les droits du roi mérovingien sur l’Eglise Iranquc, celui de convoquer les synodes nationaux. Jusqu’à ces dernières années tous les gouvernements successifs de la France se sont réclamés de cette tradition à l’égard des assemblées d’évêques.

3) Au cinquième concile d’Orléans (5^9), apparaît la mention de l’assentiment royal comme requis pour toute élection épiscopale : auparavant les synodes légil’érant sur la matière avaient gardé sur ce point un silence calculé (car l’usage existait) ou avaient tenté de l’exclure (Clerraont 535). Vers 558, le concile de Paris (III) essaya de revenir sur la concession orléanaise ; de même en 61 4 les évêques assemblés par Clotaire II s’abstinrent de mentionner le roi dans leur canon sur les élections. Le prince le compléta : il assigne un privilège particulier aux clercs de son palais et prescrit qu’aucun prélat ne soit consacré sans l’ordre du roi. La coutume — légitimée du reste par le rôle politique et administratif de l’évêque, devenu sinon le seul, au moins le principal m.agistrat de la cité — était désormais une loi, elle fut acceptée par l’Eglise (cf. art. Elections épiscopales).

4) La juridiction de l’Eglise sur les laïques, soit en matière religieuse, en raison du caractère sacré du délit ou de l’objet en litige, soit en matière civile à cause de la compétence arbitrale reconnue aux évêques par le droit romain et les conquérants barbares, était estrêmcnient étendue. Sa juridiction exclusive en matière civile et criminelle sur les clercs, semble avoir été dès cette époque contestée par le pouvoir séculier. Les conciles s’elforcent de soustraire au tribunal laïc les causes des ecclésiastiques. Clotaire 11,