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LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

— Oui.

— Ah !

Les Franques discutèrent longuement. Lorsque leurs voix s’animaient, Goha avait envie de leur donner des petits coups dans les bras pour leur faire esquisser les gestes correspondants.

— Rentrons, messieurs, dit soudain celui des quatre qui parlait le plus, nous reprendrons nos travaux demain.

— Holà ! maraud. Felouque ! Felouque ! Felouque !

Suivi des Franques, le pêcheur prit la direction de la berge. Goha demeura seul et sa gaieté tomba. Une émotion sans cause s’empara de son être. Il fit le tour de la statue et alla s’étendre à l’ombre d’un acacia gris, dont une partie des racines avait été mise à nu lors des travaux de fouilles. Couché sur le dos, se faisant des mains un écran contre le soleil, il voyait beaucoup de ciel et la cime des arbres.

— Le pauvre ! murmura-t-il dans un long soupir.

Il avait souvent de ces élans inattendus qui le surprenaient lui-même. À peine eut-il prononcé ce mot, comme pris en faute, il se demanda sur qui et à quel propos il venait de s’apitoyer. Il s’égara en recherches qui n’eurent d’autre effet que de l’attrister.

Il voulut penser à Hawa, à Sayed, à Mahmoud, à sa mère ; ce fut impossible. Il ne put penser qu’à lui-même. L’image évoquée des autres se perdait trop infime, trop effacée auprès de la chose grandissante qui était lui.