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brasses pas leurs épaules, tu ne leur demandes même pas si — que Dieu le veuille ! — leur santé est bonne. Je te prie de devenir poli, de t’intéresser à mes affaires… Et maintenant prends tes fèves.

Le soir même, à l’apparition de Sayed avec un nouveau client, il se leva brusquement et, d’un geste automatique, il porta plusieurs fois la main à son front. Il s’efforça de varier ses saluts, de se prodiguer.

— Soyez les bienvenus… Que Dieu… Que le bonheur… Daignez nous honorer… Vous éclairez la maison… Vous… Vous…

Mais les hommes étaient déjà passés. Immobile contre le mur, Goha continuait à porter la main à son front. Son geste augmentait en violence. C’était maintenant des claques qu’il s’appliquait sur les yeux, sur le nez et il ne s’arrêta que lorsqu’il sentit son visage en feu.

Il regarda autour de lui, prêt à sangloter, mais sa face grimaça. Il eut un rire imprévu, un rire imbécile. Il s’assit sur la chaussée, les coudes aux genoux, la tête sur les mains.

— Goha, dit la négresse dont le langage gagnait en assurance depuis ses succès auprès des hommes. Elle venait de compter ses sequins et n’était pas d’humeur à juger avec indulgence les faiblesses d’autrui. — Goha, tu abuses de ma patience. Pour faire semblant de m’obéir tu as salué mon client après qu’il est passé et tu t’es informé de sa santé avec des yeux si méchants que tu avais l’air de souhaiter sa ruine.