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la rue. Dans les fumeries, des exclamations et des rires préludaient au silence et aux longues immobilités des hachachins. Des mendiants, aveugles ou estropiés se retiraient à pas précautionneux vers des lieux de repos, croisant au passage des jeunes gens et des vieillards qui conversaient à voix haute. Par moments des groupes bruyants s’engouffraient dans les tabagies ou les salles de danse. Devant leur porte, fraîchement fardées, les filles, enfiévrées, se querellaient entre elles pour la moindre vétille. Une forte odeur de légumes pourris et d’urine se mêlait aux frais arômes de la brise, rendant l’atmosphère énervante. Les filles avec le sourire et l’injure à la bouche respiraient abondamment la puissante haleine de la nuit et, comme pour mieux s’en pénétrer, relevaient leur robe jusqu’à la ceinture.

Deux hommes se dirigeaient vers la maison où logeaient Hawa et Amina. Des Circassiennes qui faisaient le guet se jetèrent sur eux, mais soudain les poings pesants de l’un des visiteurs s’abattirent sur leurs épaules ̃:

— Place ! Place ! Filles de chiens !

Reconnaissant le vendeur d’oranges, elles s’écartèrent en grommelant

— C’est Sayed avec un Effendi.

— Ils vont probablement chez Amina.

— Une fille qui se mouche du matin au soir ! Elle est recherchée parce qu’elle débute, mais on s’en lassera… et avant peu elle en sera réduite à nous lécher les pieds !

Sayed et l’Effendi s’arrêtèrent un moment sur