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Elle s’arrêta sur cette réflexion ironique, puis en proie à un brusque accès de rage :

— Et moi, je ne sais qu’une chose, s’écria-t-elle, c’est que notre renommée est perdue !

— Tu as raison, balbutia la jeune femme, j’ai un chagrin. Mais bientôt tu verras comme je serai gaie.

— D’abord comment t’appelles-tu ? demanda la Syrienne en s’adoucissant. Nous t’avons surnommée la morveuse.

— Je m’appelle Amina, répondit la prostituée.

Incapables de concentrer longtemps leur attention sur un même sujet, les filles, qui étaient réunies sur le palier de la maison où elles habitaient pour la plupart, se séparèrent. Amina monta dans sa chambre. Quelques-unes s’assirent sur le pas de la porte pour guetter les passants. Le dos appuyé contre le mur, leurs pieds nus dans la boue, elles criaient leur prix à tour de rôle et d’une voix monotone. Lorsqu’un homme s’arrêtait, elles détaillaient précipitamment le tarif de leurs pratiques amoureuses ; s’il hésitait, elles s’efforçaient d’accroître sa convoitise par des gestes et des paroles obscènes. Parfois le passant s’approchait, considérait attentivement la marchandise offerte, la maniait encouragé par des mimiques et des gémissements. Il fixait son choix ou s’en allait. Dans tous les cas, c’était un concert d’injures, de malédictions et il devait se débattre contre des mains rageuses agrippées à son caftan.

La nuit tombait rapidement. La flamme immobile des lampions brillait aux fenêtres sans éclairer