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teur d’eau n’est pas nécessairement moins heureux qu’un cheik !

Des cris aigus, des rires gutturaux que canalisaient les rues étroites, montaient jusqu’à la fenêtre. Des femmes, laissant négligemment le bas de leur robe traîner dans les ruisseaux, s’entretenaient avec des fellahs en gesticulant. Parfois des exclamations renseignaient le passant sur la nature de ces colloques qui se poursuivaient à voix basse.

— À ce prix-là, je puis m’acheter un âne !

— C’est comme tu voudras, répondait la prostituée.

Le couple s’éloignait silencieux, la femme en avant, l’homme en arrière. La promesse du plaisir ne les rapprochait pas. Cheik-el-Zaki, qui s’était penché au dehors pour mieux entendre, suivit du regard le couple qui disparut par une porte basse.

— Waddah, dit-il, je suis amoureux.

Croyant à une ironie du cheik, le jeune homme sourit avec contrainte.

Je suis amoureux, Waddah, reprit le maître d’une voix grave, mais je ne sais pas de qui. Est-ce que tu comprends cela, toi qui es expert en amour ?

Alyçum, frappé de stupeur, ne répondit pas.

— Il est temps que je prenne un peu de plaisir, poursuivit le vieillard… J’ai envie d’une belle fille, bien grasse, bien blanche, qui fasse la joie de ma vieillesse.

— Puis-je parler ? demanda Waddah-Alyçum.

— Parle.

Le jeune homme fixa des yeux doux et implo-