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L’esprit de Goha fut soudain envahi par des images d’humiliations suprêmes. Il vit des agenouillements dont il eut le désir fiévreux, il entendit des prières intérieures désespérées qu’il souffrit de ne pouvoir dire ; il ressentit avec frénésie le besoin de trembler, d’être servile, et de crier : « Pardon ! pardon ! pardon ! pour ce que je sais et pour ce que je ne sais pas… pardon ! pourvu que tu me gardes… » Et tous ces mouvements, toutes ces invocations passionnées se résumèrent en ces mots murmurés timidement

— Khalil est une bête.

Une lueur d’ironie passa dans les yeux vifs d’El-Zaki. Avec une dureté volontaire, calmement, il répondit :

— Non, détrompe-toi, Khalil n’est pas une bête, c’est un serviteur que j’aime… Maintenant, que ta soirée soit bénie.

Il entraîna Goha vers la porte, lui fit traverser l’antichambre jusqu’à l’escalier. Stupéfait d’avoir tant supplié, tant livré de lui-même en vain, Goha descendit les marches à contre-cœur. Il regardait, El-Zaki à la dérobée, attendait un signe pour se jeter dans ses bras. Quand El-Zaki entendit la porte se refermer sur lui, il se dirigea rapidement vers la bibliothèque. Sur le seuil il se ravisa, revint sur ses pas, gagna le harem et pénétra dans la chambre de Mabrouka. Accroupie sur un tapis et entourée de ses esclaves, elle jouait aux cartes.

— Tu t’es mise en ordre ? demanda-t-il distraitement.

Sans attendre de réponse, il sortit de la pièce