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— Oui, souvent, répondit Goha sans hésiter.

— Où la rencontrais-tu ?

— Sur la terrasse.

— Quelle terrasse ?

— Je montais sur la terrasse de ma maison et puis je passais par-dessus la balustrade.

— Tu passais sur la terrasse de ma maison, alors ?

— Oui, oui… murmura Goha qui venait pour la première fois de s’en rendre compte.

— La nuit ou le jour ?

— La nuit.

À toutes ces questions, Goha ripostait machinalement. Chacune d’elles rencontrait dans les limbes de son cerveau, un souvenir. Il y avait là, pour ainsi dire, un mouvement de mémoire instinctif. Une question complexe, en l’obligeant à réfléchir, eût arrêté cet échange automatique. Cependant, il pleurait parce qu’il avait peur. De quoi ? il n’eût pu le dire, mais il sentait qu’on lui prenait du fond de lui-même des choses très précieuses qu’il aurait voulu tenir à l’abri.

Tout à ces révélations, El-Zaki n’avait pas remarqué l’extraordinaire lucidité du simple. Les précisions qu’il avait exigées lui rendaient atrocement cruel le souvenir de Nour-el-Eïn. Cependant il avait une sorte de pitié mêlée de dégoût à la vue de ce visage congestionné par les larmes, dont les yeux étaient mornes, hébétés.

— Je désire ne plus te revoir, dit-il sans s’approcher de Goha. Si tu revenais, Khalil ne te laisserait pas monter.