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une fureur de mâle, il voulut lui fracasser le crâne. Sur le corps de Goha, il vit à vingt endroits la place où son poing devait s’abattre, et il vécut la frénésie d’un pugilat imaginaire. Il fut surpris de se retrouver à la même place, au milieu de la chambre, et de revoir intacte la face riante de Goha, Celui-ci ayant attendu vainement les compliments du cheik, songeait à l’émotion de Nassime, à la fierté de Mahmoud qui s’était écrié : « Allah ne m’a pas oublié, que suis-je cependant ? » À la cuisine, les femmes, préparaient des gâteaux et des confitures ; des mendiants étaient attroupés devant la porte guettant la sortie de Mahmoud. Goha emporté par la perspective d’un avenir de fêtes ne remarqua pas l’agitation du philosophe.

« Lui ou un autre… » se disait El-Zaki. Il répéta ces mots à plusieurs reprises pour s’en convaincre, mais maintenant qu’il tenait le complice, le drame s’imposait à son esprit sous une forme plus intime. Il avait chassé Nour-el-Eïn, au nom d’une tradition. Ç’avait été un acte impersonnel, dénué de passion et, de bonne foi, libéré de la coupable, il avait cru à l’oubli. À cette heure, ses instincts le liaient au drame dont il s’était jusque-là dignement écarté. « Oh ! le battre, l’étrangler ! » murmura-t-il et il éprouva le besoin de vengeance, le besoin de donner et de recevoir des coups, de se colleter avec son rival comme un fellah au coin d’une rue. Meurtrir cet homme puis le jeter dehors avec un coup de babouche en plein dans le derrière, c’est à ce prix seulement qu’il retrouverait la paix de son âme.