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ses prunelles. Il prit enfin son âne par le licol et sortit. Silencieuse, impénétrable, la négresse n’avait pas bougé.

Goha s’éloigna à grandes enjambées. Il était dans un état de gaieté folle. Il donnait des tapes violentes sur la croupe de l’âne, lui chatouillait les oreilles, lui baisait le museau humide. Il criait à tue-tête : « Bourrique ! Bourrique ! », chantait le mot en sourdine, le reprenait d’une voix grave et le tout se perdait dans un éclat de rire puéril. Il croyait s’être évadé d’un cachot ou Hawa l’avait enfermé des jours et des jours.

Hawa raconta ce qu’elle avait vu. La famille de Hadj Mahmoud tint conseil jusqu’au soir. Goha et Nour-el-Eïn furent mis hors de cause. L’un avait pris ce qu’on lui avait offert, l’autre était une vicieuse. La honte, le déshonneur étaient pour Cheik-El-Zaki. Les responsabilités établies, les Riazy comprirent qu’ils outrageaient la morale publique en tenant secrète une telle ignominie. Des dallalas mandées en toute hâte furent chargées d’ébruiter le scandale. La négresse se réserva d’en informer le quartier.

— Tu n’iras pas chez notre voisin, ordonna Mahmoud à son fils lorsqu’il revint de sa tournée. Si tu le rencontres, tu ne lui tendras pas la main, tu ne le regarderas pas. En tous lieux, tu le fuiras, parce que le déshonneur est dans sa maison.

En moins de quarante-huit-heures, la nouvelle fit le tour de la ville. Les femmes criaillaient, les esclaves crachaient à terre avec dégoût, les