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sentit le travail invisible et sûr de milliers de Cheikas mécontentes et aussi la détresse des hommes traqués sans le savoir. « C’est le destin », se disait-il et il poursuivait : « Chacun sa destinée. » Il combinait des notions écourtées, des phrases cueillies au hasard et des remarques personnelles, se rapprochant en cela du commun des êtres. Son domaine moral se modifiait comme se serait modifié celui d’un savant uléma inventeur d’un système théologique. Son intelligence n’était pas moindre, comparée à celle des vivants, elle était simplement différente. Il plaçait l’inconnu là où d’autres voyaient la lumière, il ne se souciait pas de certains phénomènes que d’autres trouvaient mystérieux et il riait en des circonstances où d’autres s’apitoyaient. Ce que les hommes appelaient sa sottise n’était qu’une manière d’être différente de la leur. Il acceptait sans révolte leur jugement parce qu’il était modeste et simple et ne perdait son humeur sereine que lorsque le mépris des hommes s’accompagnait de violences.


Lentement, parmi des erreurs familières, s’écoulait son existence. Il avait pris en amitié la statue d’Isis et lui rendait souvent visite. Il s’asseyait sur une motte de terre, en face d’elle, se composait une attitude pareille à la sienne et demeurait immobile. Fatigué, il se levait, lui tapotait les jambes et demandait avec admiration :

— Comment fais-tu pour rester assise si longtemps ?