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— Puisque tu n’es pas capable de respecter un mort, reprit le cheik.

Goha l’interrompit :

— Un mort… quel mort ? fit-il avec dédain.

Sûr de son fait, il se sentait tout à coup une passion pour la controverse et la certitude qu’il allait confondre un cheik vénérable, peut-être illustre, l’emplissait d’une joie insolente.

— Quel mort ? reprit-il après une pause. Sans en avoir conscience, il imitait le personnage de Cheik-el-Zaki, lorsque le philosophe discutait ; il allait jusqu’à lui emprunter sa voix et cette façon particulière de relever les sourcils en penchant légèrement la tête de côté. — Waddah-Alyçum n’est pas mort… Renonce, mon cher, à ces fables qui circulent sans qu’on en connaisse la source. Il n’est pas mort, Waddah ; tu peux en croire celui qui l’a vu ce matin même dans sa chambre…

Il s’arrêta. Puis, d’une voix triomphante, comme on assène un coup :

— Il était sur son lit, en chair et en os !

Tandis que le vieillard s’indignait, Goha hocha la tête et se mit à chantonner sur un ton de confidence :

C’est moi qui vous le dis…
je l’ai vu sur son lit…
oui, Waddah-Alyçum…
en chair et en os.

Dans la foule on criait « C’est une honte ! Faites-le taire ! » Le cheik s’éloigna en murmurant : « Qu’Allah lui pardonne, c’est un fou. » Mais