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LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

— Si tu veux, Nour-el-Eïn, la prochaine fois je t’apporterai un fruit ou une fleur de son jardin… Seulement je suis pauvre… Le commerce va mal… Cinq harems ont perdu leur fortune… Le mamelouk Aly-Bey a tué les maîtres et confisqué l’argent…

Nour-el-Eïn, sans répondre, retira de son bras deux bracelets d’or et les lui tendit… La dallala jura qu’elle n’avait besoin de rien, qu’Allah ne l’avait pas abandonnée et s’empressa d’enfouir les bracelets dans un sac suspendu à son cou et enserré par ses mamelles énormes.

— Raconte-moi encore quelque chose, supplia Nour-el-Eïn…

— Je l’ai entendu parler, reprit Warda en s’essuyant, avec le coin de sa manche, la paupière qui s’écrasait sanguinolente dans son orbite vide… Oh ! ma chérie, il parlait, il parlait… C’était comme une fine broderie dorée…

Alors qu’elle prenait congé de Nour-el-Eïn, celle-ci lui dit :

— Pourquoi nous occuper de Waddah-Alyçum ? Je ne le connaîtrai jamais.

— Peut-on défier son destin ? riposta Warda.

Ces derniers mots s’ancrèrent dans l’esprit de la jeune femme et la confirmèrent dans le sentiment qu’elle avait de la fatalité de sa passion. La crainte que le souvenir de la femme adultère lui avait donnée, elle savait, maintenant que sa décision était prise, l’écarter par de subtiles comparaisons. « Elle était laide et je suis jolie, songeait-elle. Elle était une vulgaire fellaha et je suis une dame. »