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LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

— Méfie-toi des hommes, ma chérie. Supposons que tu tombes amoureuse de Goha et que tu t’oublies… as-tu songé aux conséquences ?

— Quelles conséquences ?

— Allah ! que tu es sotte, ma chérie… Crois-moi, le cheik ne t’a pas perdue de vue… Il ne s’est pas encore occupé de toi, mais, demain peut-être, il te demandera…

— Oh ! le cheik t’aime, interrompit l’esclave. Et que suis-je auprès de Nour-el-Eïn ?

Sur cette interrogation l’entretien prit fin. Nour-el-Eïn s’enferma dans le mutisme qui lui était coutumier et Amina alla rejoindre la vieille Circassienne. La remarque de sa maîtresse tour à tour l’effrayait et flattait ses instincts de coquetterie. Aussi, lorsque désormais elle rencontrait Cheik-el-Zaki, hésitait-elle entre le désir de fuir ou de plaire. Elle baissait les yeux, tandis que sa main échancrait machinalement la tunique autour de sa gorge. Ce ne fut là, d’ailleurs, qu’un manège passager. Elle comprit que le cheik ne se souciait d’elle en aucune manière. Quand il lui parlait, c’était toujours avec cette politesse hautaine qu’il avait envers les inférieurs.

Durant des semaines, Nour-el-Eïn n’interrogea personne de crainte d’éveiller des soupçons. Sa passion pour l’inconnu au fin profil s’exaspérait dans le silence de sa pensée, et, seule, certaines nuits, elle souffrait de ne pouvoir évoquer par son nom l’image qu’elle aimait. Elle voulut lui en donner un de son choix. N’en trouvant pas qui fussent dignes de son amour, elle demanda inno-