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LE LIVRE DE GOHA LE SIMPLE

Nour-el-Eïn s’était redressée et, le coude appuyé sur le divan, tourna vers la Syrienne un visage fermé.

— Allons… parle, reprit-elle avec un imperceptible tressaillement des narines.

— Tu me comprends bien… minauda la Syrienne sans se démonter.

Elle fit une pause et reprit, malicieuse, en clignant de l’œil :

— Surtout ne t’avise pas d’aimer celui qui a un visage rond et une poitrine bombée. C’est un sot et il s’appelle Goha… Mais l’autre !… Qui sait comment il s’appelle, l’autre ?…

Des mains s’étaient jetées sur les nattes blondes de l’esclave et les tiraient rageusement.

— Je te défends, s’écria Nour-el-Eïn, je te défends… Et puis, va-t’en ! va-t’en ! Je ne veux plus te voir !

Avec des rires, la Syrienne immobilisa les petites mains fardées et, toujours à genoux, baisa le front courroucé de sa maîtresse.

— Que tu es jolie, dit-elle, quand tu cries ! Et, à voix basse elle ajouta : Ah ! s’il pouvait te voir ainsi !…

Les allusions de son esclave mêlées à des caresses, donnaient à Nour-el-Eïn une torpeur sensuelle. Elle voulait d’ailleurs éviter une discussion, craignant, sans se l’avouer, qu’elle n’apportât de la netteté aux sentiments vagues qui flottaient en elle-même. Déjà ses longs cils s’étaient rejoints et de ses lèvres desserrées s’exhalait un souffle égal. La stridulation des grillons dans le jardin