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MESSES NOIRES

fièrement. Je me réveille le matin, léger de remords, épuisé par cette terrible chute qui, en brisant ma destinée, a brisé mes illusions et mes dernières croyances. J’ai seulement un grand trou dans le cœur, une blessure béante, profonde, remplie de ténèbres. Et, pêle-mêle, dans cette blessure-là, repose mon passé enseveli.

« Autrefois je croyais connaître les choses, deviner mes semblables, analyser leurs plus secrètes et plus intimes sensations : Chimères ! Je croyais jouir de la vie jusqu’au paroxysme et jusqu’au satanisme où m’ont conduit la peur et le dégoût de mes contemporains : Chimères ! Je croyais saisir la gloire comme on saisit ces belles cavales sauvages, qu’on dompte, les poings crispés dans leur crinière ! Je croyais asservir le monde, le forcer, hypocrite convive, à écouter, confuse d’abord, puis distincte, ma voix parmi les rumeurs, ma voix qui lui faisait le récit fidèle de sa honte et de sa saleté. Chimères !…

« Je croyais enfin, pauvre fou, avoir connu l’énivrement du triomphe dans ses griseries les plus emportées, dans ses exaltations les plus pures ! Chimères, chimères… Oh, oui, chimères ! Autour de moi, depuis la défaite, elles gisent, à présent, les ailes brisées. Je demeure face à face avec l’atroce et divine vérité. Plus de mirages et plus de mensonges : La prison… C’est bien, j’accepte. À bas les masques ! Les juges ne me font pas peur. Ils m’accusent d’avoir corrompu la jeunesse, d’avoir souillé l’enfant, par mes exemples et par mes écrits. Je sais toute la bêtise, toute la cruauté et toute la vindicte qui animent leur accusation. Et je les voue au mépris de la postérité.

« Car le poète qui, de sa plume, décrit les sanies morales de son époque, ressemble au médecin qui, de son