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LORD LYLLIAN

claire du cortège. C’était lady Cragson. Avec l’assurance des timides poussés à bout, elle gravit les degrés de marbre, atteignit l’endroit d’où Adonis souriait toujours, sans voir… Avant qu’on eût pu l’en empêcher, elle se jeta aux genoux du gamin ravissant.

— Je t’aime, dit-elle, très bas et très vite, je te veux… toi tout entier, tes jambes fines et ton torse souple comme un collier… je veux t’avoir comme je t’ai eu !…

Mais lui demeurait muet ainsi qu’une statue… elle l’embrassait maintenant à pleines lèvres, étreignait ses pieds frêles, ses chevilles nacrées, ses cuisses nerveuses, son ventre d’adolescent que l’ombre à peine tachait de blond… « Je te veux… » répétait-elle d’une voix blanche et ardente à la fois !

Les figurants, avec la complaisance ordinaire à leur race, avaient repris leurs danses et leurs jeux.

Cependant l’immobilité de Lyllian lui donnait un aspect étrange, presqu’effrayant… Cette femme vautrée sur son corps, cette tourbe d’adorateurs à gages, le décor grandiose, impressionnaient comme un chef-d’œuvre artificiel qu’on ne retrouvera plus.

« Je te veux, je t’aime », répétait la suppliante. Les éphèbes à présent se prosternaient devant l’adolescent et lui offraient en sacrifice ultime un agneau qu’ils égorgeaient avec un long glaive de fer. Le sang jaillit sur le marbre, éclaboussant la poitrine de Renold.

Lady Cragson, hallucinée, recula… « Tu ne veux pas de moi… ? Tu ne m’aimes pas ? Dites Renold, vous ne m’aimez plus… ? Je n’avais plus que toi au monde… Je rêvais à toi comme on rêve à Dieu !… Au moins donne-moi tes lèvres… un seul et long baiser !… »

Là-bas, cachés, les autres regardaient, haletants…