Page:Adelswärd-Fersen - Messes noires ; Lord Lyllian, 1905.djvu/70

Cette page a été validée par deux contributeurs.
58
LORD LYLLIAN

— Pour la nuit, j’espère ? Vous savez qu’on ne part que demain à 9 heures. Pas de charbon, on se brosse les soutes ! Allons nous chauffer ailleurs… J’ai trouvé un birbante superbe qui veut bien nous servir de guide. Il nous mènera aux bons endroits.

— Puisque ce sont là vos menus plaisirs…

Après le dîner, le birbante annoncé se présenta. Grand gaillard barbu, du teint olivâtre des Maltais, parfait gentilhomme de manières au reste, si ce n’avait été des diamants compromettants à la cravate et aux doigts.

— Il m’a promis des placements de tout repos. Le reste, c’est pour la garnison.

D’un air entendu le Maltais leur faisait signe. Ils le suivirent, traversèrent un dédale de rues montantes et descendantes, en dos d’âne et en espalier, puis s’arrêtèrent enfin à une maison d’aspect quelconque.

— C’est ici, Excellenza. Veuillez entrer.

Ils enfilèrent un long corridor étroit, dont l’obscurité puante était bien de couleur et d’odeur locale. Brusquement, un jet de lumière, une table blanche, une famille en train de manger la soupe, la soupe qui fumait au milieu des couverts. Le père, cheveux blancs, — tout à fait une tête à poser les Dieu-le-Père, se leva de la meilleure grâce du monde. Il désigna sa femme opulente et fardée, l’aïeule qui essuyait ses lunettes d’un air résigné, deux jeunes filles dont la dernière avait douze ans, un petit gas aux yeux frisés qui sourit aux arrivants, et, d’un geste impérial :

— Choisis, très noble étranger, ma maison est à toi.

— Pension de famille ! siffla Skilde, amusé…

— Vous pouvez prendre qui vous plaira, appuyait le birbante, l’air très protecteur.