Page:Adelswärd-Fersen - Messes noires ; Lord Lyllian, 1905.djvu/69

Cette page a été validée par deux contributeurs.
57
MESSES NOIRES

entre les branches sombres piquées de fruits d’or ! au passage, Lyllian en cueillait, ému profondément par la fraîcheur du feuillage. Des insectes bourdonnaient et, par endroits, la lumière du ciel bleu marbrait les herbes.

Lyllian ralentit son pas. Des sèves coulaient de ces arbres. À quoi bon les quitter, revenir vers la ville, vers le port dont il distinguait les rumeurs, vers la vie, vers Skilde, vers la réalité de son voyage qui l’entraînait en Orient et loin d’Edith… Edith aussi devait aimer venir sous les bois d’oranger. En quelque Séville bruyante de cloches et de sonnailles, en quelque Barcelone dorée, en quelque Grenade mauresque et aux blancs moucharabiehs, elle pensait à lui, parlait à Lyllian dans les mystères d’un jardin…

Et, s’asseyant sur le gazon tiède, protégé et bercé par un dôme frissonnant d’ombre et d’odeur, lord Lyllian, oublieux de l’heure, se mit à rêver… et s’endormit dans ses rêves, câlinement…

 

Lorsqu’il se réveilla, la tête lourde des senteurs respirées en dormant, le soir tombait sur la colline et sur la mer. On ne distinguait plus le port que confusément, pareil, avec ses feux multicolores, à un reptile ocellé de lueurs. — De longues blessures roses ensanglantaient le couchant et la brume cachait déjà les horizons. Lyllian découvrit les premières étoiles pâles, dans un ciel de plus en plus sombre. Il se secoua, descendit le petit sentier broussailleux entre deux haies d’orangers et fut bientôt aux premières maisons de la ville basse et sur les quais. En arrivant à bord il fut reçu par un narquois : « Tiens, comment vous portez-vous » ? de Harold Skilde.

— J’ai dormi là-haut, sous les orangers.