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LORD LYLLIAN

et ses oreilles auxquelles pendaient deux longues agrafes d’or. Un caraco de toile rouge et un tablier aux broderies fanées sur une jupe d’indienne la rendaient désirable malgré cette écorce fruste, comme un beau fruit sauvage.

Lyllian la regarda passer, tranquille sur son âne ; il la regarda aussi longtemps que ses yeux purent l’apercevoir, parcourant sans hâte l’avenue toute en fleurs. Lorsqu’elle eut disparu au tournant de la route, il eut un soupir — désir, regret, lassitude, qu’importe ? — et pour la seconde fois un dégoût lui vint de sa vie et de sa jeunesse gâchées en d’inutiles et malsaines curiosités. Pour se distraire et chasser les idées qui le hantaient, il reprit la promenade maintenant gourmée et silencieuse. Des gamins presque nus qui jouaient à saute-mouton lui coururent dans les jambes. Et le « get away boys ! » que leur jeta dédaigneusement le petit Lord, inspira aux garnements une terreur salutaire et à Lyllian la satisfaction d’une autorité bien gardée.

Le soleil brillait maintenant de tout son éclat et des lueurs phosphorescentes dansaient sur la mer. Malgré la saison, un air ensommeillé et lourd planait. Un orage prochain, un vent venu d’Afrique accablaient les hommes et les choses. Lyllian était arrivé au but de sa promenade. Les balustres blancs s’arrêtaient là.

Plus loin les jardins ouvraient à tout venant leurs sentiers ombreux, leurs abris calmes entre les vieux murs hérissés de cactus. Il eut brusquement le désir enfantin de les traverser, de redescendre ainsi vers le port et, sautant par dessus une haie d’églantiers et d’aloès, il se trouva dans les bois d’oranger. Oh la senteur grisante et légère à la fois, l’arôme de soleil et de caresse qui flottait