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MESSES NOIRES

effet la marque de son passage à Lyllian Castle où elle avait été primitivement adressée, puis à Londres, où la maison de Hanover Square l’avait renvoyée à Marseille et de Marseille à Naples. L’écriture fine de la jeune fille, détrempée par l’humidité, datait d’une quinzaine déjà, et ce fut une impression toute particulière que celle ressentie par Renold à la pensée lointaine de la petite amie d’autrefois… Ainsi donc elle se rappelait… la jolie Edith aux douces lèvres !

Harold Skilde s’était éloigné un instant pendant que Renold décachetait ses lettres. Il revenait triomphant suivi d’un ragazzo minuscule et brun qui traînait un immense panier d’oranges de Sicile. Il vit lord Lyllian pensif, ému délicieusement par ces lignes inattendues, et, jaloux sans qu’il daignât l’avouer, s’approcha ;

— Des billets doux, pas mal ? je suppose…

— Oui, mais pas de votre sexe.

— C’est plus grave !

— Et mieux écrit.

— Vous êtes, mon cher petit…

— D’une parfaite égalité de mauvaise humeur…

Skilde, résigné, remonta à bord déposer ses oranges, puis repartit, l’escale étant de 24 heures, revoir ses chères églises et surtout — si possible — sa délicieuse Île de Capri que lui et Supp, le grand industriel allemand, aimaient si fort.

Renold le vit s’éloigner. Il demeura seul au milieu de la foule bourdonnante des facchini et des mendiants qui tournaient autour de lui en lui offrant des poulpes cuites, des grenades, des oranges, des cartes postales avec des cris aigus. Il les renvoya d’un geste lassé. Oh ! rester seul avec elle… comme autrefois.