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MESSES NOIRES

vous êtes, vous-même, comme une image vivante des dieux abolis, des mythes disparus, puisque j’ai cru retrouver en vous ce que j’adore en rêve, venez, quittons les terres brumeuses où jamais Adonis n’a vécu.

Allons vers le soleil chaste, vers l’orient triomphal, vers l’orient voluptueux et clair, illuminé d’or ! Je regardais, tout à l’heure, le ciel d’avril, le pauvre ciel d’Écosse, si pâle qu’il n’a pas encore entr’ouvert les bourgeons. Là-bas, tout s’éveille et tout chante. !

C’est une ardente résurrection. Et vous savez qu’il y fleurit une plante plus splendide qu’ailleurs. Seule la Grèce la possède : la gloire.

Vous verrez les ruines exiguës des vieux temples emplir le monde de leurs naufrages de marbre. La terre que vous foulerez a donné le jour à Socrate et à Sophocle, à Eschyle et à Euripide. Les abeilles d’or qui lutinent les lauriers-roses, ont autrefois voltigé sur les lèvres de Platon. Un peu rastaquouères, les descendants… Mais nous vivrons du passé, nous nous griserons d’histoire, nous reverrons les légendes, les légendes seront nos sœurs. Nous rencontrerons des chanteurs sur la route, des chanteurs dont la voix vibre encore au ciel. En passant, à Venise, ce sera Musset ; en longeant Cérigo, Chopin pleurera son rêve, plus loin ce sera la muse errante de Byron.

Oh, dites, avec vous, mon bien-aimé, partir pour la Grèce blonde, pour la Grèce héroïque et fabuleuse… pour les Îles de luxure où l’on voudrait mourir…