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MESSES NOIRES

— Et pourquoi ?

— Parce que je n’appartiens à personne sinon à moi-même et que vous m’avez volé. Oui, vous m’avez volé, tout, ma nature, ma silhouette, mes pensées, mon âme ! Que diriez-vous de quelqu’un qui forcerait un meuble, avide de fouiller les tiroirs, d’en arracher les secrets, les lettres, les parfums, les dentelles et qui se promènerait ensuite avec ses trophées au poing ?… Or, à tort ou à raison vous m’avez amené à avouer mes plus intimes rêves, mes souvenirs d’enfant, mes désirs de jeune homme. Vous me laissiez croire que c’était par intérêt, pour me calmer, pour me garer, pour me guérir ?…

— Et je vous ai garé et je vous ai guéri. Ma parole, vous avez pris la chose au tragique ! Je vous ai garé et je vous ai guéri… et puis… — c’est vrai — j’ai fait un livre ! Pour nous, les littérateurs, la vie est un perpétuel champ de bataille où, aussi curieux, aussi dévoués quelquefois que les médecins, nous épions, pour les soigner, les malades et les mourants. Vous étiez malade quoique tout jeune. Vous m’intéressiez plus qu’un autre à cause de cela même. J’ai fait mon devoir envers vous et je vous ai montré ma reconnaissance par la consécration d’une œuvre nouvelle…

— Oui… Vous avez fait un livre !… Ah, la jolie raison… Les affaires sont les affaires, n’est-ce pas ? Vous ne voyez que le métier partout… Je suis jeune, en effet, comme vous le dites, mais j’ai vécu assez pour être dégoûté par ce que je vois. Une œuvre nouvelle ! Vous voilà ragaillardis, messieurs les poètes. On a pendu les détrousseurs de grand chemin : on salue les détrousseurs d’âme. Un échantillon psychologique vous plaît ? Prenez-le donc. Étalez ses tares exagérées, ses plaies