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LORD LYLLIAN

Harold Skilde n’avait rencontré jusque-là que des petits bonshommes plus à vendre qu’à aimer — le vice anglais. Il avait ressenti pour lord Lyllian une passion très étrange et toute nouvelle, et qui plaisait à son orgueil. Le nom de son jeune ami, sa fortune, sa race, mieux encore que sa beauté, son intelligence aussi l’avaient de prime abord exaspéré. Puis, chez cet homme incapable d’aimer en apparence, l’amour s’était déclaré fougueux, absolu, dominateur. Il voulut faire de Lyllian sa créature. Et Lyllian s’y soumit, ou parut s’y soumettre. Il voulut lui donner une éducation de cabotin et de cocotte. Bientôt Lyllian fut les deux : Il parut sur la scène dans des rôles de femme. Il joua la courtisane grecque et la cascadeuse moderne. Il s’enthousiasma pour la France à cause du Moulin-Rouge et pour Paris à cause du Boulevard. Et dans sa vie habituelle, confondant ce qu’il fallait dire avec le geste à faire, il devint un parfait petit Delobelle, égoïste et menteur.

Cinq mois s’étaient écoulés de cette façon.

L’hiver avait succédé à l’automne, le printemps avait chassé l’hiver. Un matin, Harold Skilde entra nonchalamment dans le boudoir du petit Lord, un livre à la main.

— Mon dernier roman « Isis » ; il vous est dédié, Ganymède… Lyllian prit le bouquin, le feuilleta et, au hasard des pages, lut une description si frappante et si juste qu’il ne put s’empêcher de pâlir.

— Mais… C’est moi dont vous parlez, ici…

— Mais oui, c’est vous… quel succès, Monseigneur, quand tous ces mufles vont vous reconnaître. Ah, je vais m’en payer de jolies histoires de masques !

— C’est très mal, monsieur Skilde, observa Lyllian, vous ne devez pas agir ainsi.