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MESSES NOIRES

Quand Harold Skilde vint le surlendemain, lord Lyllian le reçut avec la grâce enjouée d’une jolie petite fille. Il lui montra le domaine ; puis ils rentrèrent tous deux… et comme la nuit était venue :

— Voulez-vous rester ce soir au château ? demanda Lyllian à Skilde.

Et Skilde accepta, ravi de l’hôte et du paysage.

Après le repas, dans la haute salle où jadis son père le regardait avec des yeux mélancoliques et blasés, Renold proposa une promenade au bord du lac, malgré la nuit… Il y a des fantômes qui rôdent, à ce qu’il paraît, autour des vieilles maisons. La mienne est assez ancienne pour en avoir beaucoup… Venez les voir.

Ils partirent : La nuit brumeuse laissait percer ses nuées par les constellations froides de décembre. Jamais le poète ne s’était senti plus ému et plus passionné.

Dévoilant son âme à cette jeune âme ignorante et délaissée, il interrogea très doucement Renold sur son enfance et sur sa vie. Sa voix chantait dans l’ombre, son cœur tremblait sur ses lèvres. Et Skilde, qui déjà ne croyait plus à rien des choses de la vie, pour qui l’amour n’était qu’un caprice d’épiderme depuis longtemps initiée, Skilde comprit qu’il aimait cet enfant.

Passion si forte et si récente, qu’il demeura tout d’abord silencieux, après se l’être découverte. Il était évident que lord Lyllian ne soupçonnait rien, et qu’un mot trop exact, qu’une allusion trop directe allait bouleverser l’adolescent, l’étonner, l’interdire, peut-être lui faire peur ; en tous cas lui révéler de si mystérieuses souffrances, de si coupables abandons !…

Skilde sentait cela. Pourtant, comme il l’aimait ! Non, le sentiment qui l’agitait n’était pas le désir bas et pro-