Page:Adelswärd-Fersen - Messes noires ; Lord Lyllian, 1905.djvu/44

Cette page a été validée par deux contributeurs.
32
LORD LYLLIAN

Adonis, il prêcha d’exemple, et vécut, entouré d’amants reconnus. Son vice le divinisait et la toquade aidant, la vieille duchesse de Farnborough, pour plaisanter sur ses manières d’Augustule, (grandeur contre nature) appelait Skilde le dernier postiche de César.

La police, en admiration, laissait faire. D’ailleurs la mode sévissait et lorsqu’on vit l’ « Antinoüs », le yacht de Skilde, descendre la rivière un beau soir de régates, avec un équipage inquiétant de jeunes esclaves, de jeunes esclaves blonds, couronnés de fleurs à la manière attique, lorsqu’on vit l’écrivain, trônant parmi ses disciples et ses admirateurs, sacrifier d’un baiser à la beauté de Daphnis, on salua avec enthousiasme le nouveau Shakespeare.

Lord Lyllian d’ailleurs n’avait que vaguement entendu parler de Harold Skilde.

À peine un coup d’œil sur les journaux lui avait-il révélé un nom très tôt oublié. Sa jeune curiosité n’était pas encore éveillée par la littérature, et ses yeux jolis se fermaient vite sur un livre peu ouvert. Ce fut donc une présentation en règle que celle où le duc de Cardiff désigna avec son insouciance habituelle l’artiste au jeune homme.

Harold Skilde caressa lord Lyllian d’un regard admirateur, auquel le Lord ne prit pas garde… — qu’était-ce qu’un poète pour lui ? — Puis, après les préliminaires obligés, Harold Skilde parla et ils dînèrent côte à côte.

Renold fut vite charmé de l’esprit et des réparties de son voisin, de ce je ne sais quoi d’enjôleur qui, entre deux rosseries, lui disait clairement qu’on aimait sa beauté. Bref, l’écrivain lui ayant manifesté le désir de visiter Lyllian Castle et ses lacs, le gamin, avec une gravité extraordinaire, l’y invita.