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MESSES NOIRES

L’un des plus proches voisins de Lyllian Castle, M. J. E. Playfair, très riche industriel de Glascow, fit des bassesses pour attirer Renold. Il avait une fille de quatorze ans, lord Lyllian en ayant seize bientôt, et comptait sur sa fortune à lui et sur sa beauté à elle afin de préparer les choses. Edith Playfair prenait le charme ambigu de toutes les jeunes Anglaises en robe courte, à longues boucles qu’a célébrées Greenaway. Et bientôt ce furent pour Edith et Renold, qu’on avait présentés gravement l’un à l’autre, l’occasion de jeux interminables où lord Lyllian, plus mâle et plus dominateur, échangeait des sourires avec l’amie-bébé.

Entre ces amoureux dont l’un avait l’aspect d’un page et l’autre d’une poupée, cela se borna un certain temps à du babillage et à des moqueries. Puis, par un jour humide de juin, où l’odeur des foins fraîchement coupés aromatisait l’ombre, pendant un cache-cache avec d’autres petits voisins, ils se trouvèrent en face l’un de l’autre, dans une grange, les yeux étrangement luisants. Sans rien dire, avec leurs seuls regards de gamins vicieux, ils s’approchèrent, elle toute rose, lui un peu tremblant. Un craquement les fit haleter. Puis, comme personne ne venait et que les cris des joueurs retentissaient dans l’éloignement :

— Edith, dit le petit en lui prenant la main, Edith, voulez-vous m’embrasser…

Et, avant qu’elle eût pu s’enfuir, il lui mit les deux bras au cou et frôla la joue de la petite fille. Un émoi délicieux le parcourut pendant qu’Edith lui rendait sa caresse. Dans le silence, leurs cœurs battaient, leurs souffles fiévreux se mêlaient. Alors Renold se dégagea, ferma la porte, revint à pas de loup.