Page:Adelswärd-Fersen - Messes noires ; Lord Lyllian, 1905.djvu/39

Cette page a été validée par deux contributeurs.
27
MESSES NOIRES

l’enfant endormi près des anges… Le sang travaillait en même temps que le cerveau. Des chansons inconnues berçaient ses nuits, des chansons où revenaient les phrases qu’il avait lues : Mon bien-aimé, mon chéri, mon esclave, mon amour…

Parfois il se réveillait, encore frissonnant d’une caresse. Habilement il faisait jouer la lumière sur son corps blond et s’assurait qu’il était seul. Une fois ainsi, il sauta de son lit, courut devant une grande psyché qui luisait dans l’ombre, illumina la pièce, laissa tomber sa chemise fine, et moitié dans un sourire et moitié dans un songe il se regarda avec curiosité.

Debout, son corps juvénile irradiait la chambre. La chair aux transparences roses, depuis le cou aux minceurs charmantes jusqu’aux jarrets élancés et nerveux, avait des timidités de vierge et des provocations de beauté. Il se trouvait gentil ainsi, gentil tout plein (il disait lovely), si bien que, réveillé de son sommeil, grisé par sa jeunesse et par sa nudité, caressant de ses doigts agiles son ventre fuselé, il donna un baiser au miroir comme il l’eut fait à lui-même.

Peu à peu ses visions se précisèrent et se précisèrent ses caresses. Il connut d’intuition les premiers émois, les premiers élans, les premiers spasmes. Et sa passion grandit, solitaire et maniaque.

Maintenant, dans tous les miroirs et dans toutes les glaces il se regardait en passant comme on voit un ami, comme on rit à un frère. Ses yeux du bleu des campanules se cernaient d’ombres mauves. Lorsqu’il partit au printemps pour une semaine chez l’Honorable Syndham, la nouveauté du paysage, la présence du vieillard qui l’intimidait, et puis, — faut-il l’avouer — une fatigue