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LORD LYLLIAN

comprendre encore… encore, mais avec la perception du péché, avec la sensation de ce qu’avait dû être cette haine, avec la seule audace enfin de ses quinze ans, vierge et accusateur, tout son orgueil révolté, tout son amour brisé, il prit la lettre, cherchant à lire, à expliquer, à dévoiler… « Ma maîtresse… ma bien-aimée… mon joli rêve », disait la lettre, les lettres. Et les phrases de passion qui grisent l’âme et caressent le cœur bourdonnaient aux oreilles de l’enfant avec des détails tellement précis, tellement charnels, qu’il déchira la feuille.

D’un coup la vie se révélait à lui, tout entière, avec ses luttes, avec ses mensonges, avec sa perversité. Ah ! la belle aventure !… On lui avait caché les choses, jusque-là, et son père plus qu’un autre… Son malheureux père ! Comme il l’adorait maintenant, pour son air grave et triste, qui cachait tant de souffrances… Malgré sa douleur, le lord Lieutenant avait élevé Renold en chrétien et en gentilhomme. C’était le sacrifice : L’âme de l’enfant demeurait pure…

Et voilà que sa mère détruisait cela, démolissait sa tendresse, son souvenir, ses illusions, par des lettres qu’elle avait oubliées, la malheureuse, avant de mourir !

Et si le vieux Lord les avait lues avant lui… quel écroulement !

Mais non, depuis que lady Lyllian y avait rendu le dernier soupir, personne, sauf un valet, n’était entré dans la chambre.

Renold, alors, lut une à une, devant le lac opalisé par les dernières brumes, tous les billets d’amour. Sa colère se calmait, son orgueil s’apaisait. Il se rappelait les phrases de l’album : le mot qui y revenait si souvent