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MESSES NOIRES

Mais le petit s’était enfui vers la montagne, l’âme en déroute, des larmes pleins les yeux…

À part ce père, grand homme maigre aux cheveux grisonnants qui évoquait un peu Lamartine vieilli, l’enfant ne voyait personne. Le château était désert, malgré la multitude des services, malgré la valetaille, malgré les veneurs et les fauconniers qui, au moment des chasses, partaient à cheval, comme autrefois, le cor écossais à la ceinture.

La fauconnerie… De bonne heure Renold s’était senti attiré secrètement vers les cages, intéressé par les oiseaux cruels, regardant avec une joie épeurée, mêlée à de la haine, leurs serres, leurs becs, leurs yeux froids, sanglants et magnétiques. Oh, lorsqu’octobre venait et que le lac, les sapins, les montagnes se vêtaient de brumes rousses, c’était beau de les voir, une fois lâchés par les valets de chasse, piquer droit en l’air, guetter, immobiles, la proie dans l’espace glacé… puis, tout à coup, d’une seule masse tomber sur la bestiole affolée qui se débattait, pantelante, au milieu des bruyères…

Peu à peu, Renold en arrivait à comparer, à retrouver, chez les hommes qui l’entouraient, chez son père, comme chez les autres, certains traits accentués, certains profils, certains regards… Les faucons de Lyllian Castle !

Autrement, sauf aux époques de grouse, le vieux lord s’absentait d’Écosse pour voyager. Il allait aussi, soit à Windsor, soit à Osborne, présenter ses devoirs à la Reine.

Et parfois en lisant des chroniques de la Cour, l’enfant voyait le nom de son père primant les plus illustres d’Angleterre. Alors, dans la solitude, une fierté immense, un orgueil invincible le prenaient à la gorge, l’étouffaient