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LORD LYLLIAN

ce qu’on demande ça aux oiseaux des montagnes ? Ah… tu m’appelais ton petit exalté, jadis, tu te rappelles… Hé bien, si tu devines combien je t’aime, combien je te désire et pour moi, pour moi tout seul, tu dois savoir aussi ma souffrance, ma jalousie. Tant que tu en voulais d’autres — des jeunes gens comme moi — ce m’était égal ; je pouvais te reprendre. Mais une femme, une femme qui te griseras, qui te tromperas, qui te garderas à tout jamais ! Une femme, notre ennemie… Non, non, mille fois non ! Tu es à moi, tu es mon bien, tu es ma chose, tu es mon Dieu !

» Et je me tue si tu l’épouses !

André Lazeski, plus blanc qu’un linge, grandi d’une façon surhumaine par son émotion et par sa souffrance, acheva ces derniers mots d’une voix stridente.

Lyllian eut un frisson. Dans la chambre, le soir enveloppait les meubles d’une pénombre naissante, un peu mélancolique. Il resta un instant tout pensif, sans répondre au collégien… puis, doucement, il murmura :

— Pauvre petit !…

Tout de suite, une réaction extraordinaire s’opérait. André s’affaissa sur une chaise, en sanglotant. Il parlait à travers ses larmes…

— Renold, je ne te l’avais jamais dit, jamais dit encore… Je sentais que pour toi je ne suis qu’un joujou de hasard, qu’un caprice, qu’une passade. Et pourtant les vers que je t’ai dédiés auraient dû t’avouer ce que je souffre… Ils étaient maladroits, mes pauvres vers… Tu ne les a pas compris… Je les écrivais le soir dans ma chambre, en pensant à toi, en pensant à toi… Te souviens-tu comme tu m’expliquais bien les grands poètes de ton pays ?… J’étais assis presque à cette place… et