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MESSES NOIRES

ment enveloppé dans un immense manteau de soie noire, lord Lyllian parut.

La tête seule émergeait, avec une main qui retenait la soie, une main fine et maigre d’enfant, sans une bague. Lord Lyllian, plus étrange que joli, semblait quinze ans. Blond cendré, les yeux bleus petits, intelligents et cernés, le nez sensuel, moqueur aussi, à peine un léger duvet d’argent ombrait-il sa lèvre. Sur ses cheveux, un réseau d’or brillait, et deux fleurs de même pâleur, deux corolles de nénuphar, taillées comme dans une perle vivante et diaphane, encadraient son jeune front.

Il demeura un instant ainsi, sans un geste, jouissant de cette curiosité et de cette impatience comme d’un mets rare, ravi des yeux qui le fouillaient, des désirs qui le frôlaient, des tares qui le caressaient. Il souriait avec un air de faune et de sphinx…

Della Robbia s’était levé :

— Vous permettez que j’entre ? dit alors lord Renold Lyllian d’une voix chantante avec une façon juvénile et gauche d’accentuer les mots… J’ai mes gens aussi… Vous permettez ?

Et, sans attendre la réponse de son hôte, il héla et six gars bruns, velus, musqués, le cou à l’air, firent irruption en dansant tout autour de la table.

— Excusez mon retard, dit Renold, en se penchant vers le peintre qui lui nommait les convives au milieu du brouhaha produit par cette arrivée, j’avais des chanteurs, et puis une petite drôlesse qui avait l’air d’un joli potache. Je me suis laissé embrasser. Elle m’a donné à boire. Pour partir j’ai dû la battre… Je l’ai fait enfermer dans une chambre ; demain soir, si elle est plus sage, je verrai. Sans cela, je serais ici depuis longtemps…