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MESSES NOIRES

— Vous ne le saviez pas ?

— Ce n’est pas possible. Tu mens !

— Est-ce pour me le dire que vous forcez ma porte !

— Je te répète que tu mens ou que tu es fou…

— Mais enfin de quel droit venez-vous m’en parler ?

— Du droit que je t’aime et que tu m’as aimé ! cria Lazeski. Oh, continuait-il, de plus en plus exalté, tu as beau me traiter en inconnu, avec des mots comme des coups de cravache… Il y a eu un temps, te souviens-tu, où j’étais ton maître, et ton amant ! Aujourd’hui tu me méprises et tu m’oublies… Renold, mon Renold, pourquoi fais-tu cela ?…

André, à bout de souffle, s’arrêtait, des larmes pleins les yeux. Lyllian, stupéfait de cette douleur soudaine, de cette torture muette, ne savait quoi répondre.

— Voyons… Renold… tu comprends que je suis sincère… tu as bien deviné que je t’aimais — farouchement. C’est la première fois que j’aime quelqu’un. Tu m’as tellement conquis, tu as fait de moi si bien ta chose, qu’on pourrait m’offrir toutes les guérisons du monde : ce n’est pas possible. C’est toi qui m’as appris l’amour…

Et comme Lyllian protestait :

— Oh ! je ne t’accuse pas de vilains actes, Renold, répliqua Lazeski, les yeux brillant d’une flamme étrange. Au lycée, avant de t’avoir rencontré, je connaissais tout. Entre internes, c’est forcé : on est si seul, si loin, si triste ! Non, tu ne m’as pas fait de mal : au contraire… Tu m’as élevé le cœur et l’esprit ; avant, je blasphémais l’amour. C’est par toi que je l’ai béni. C’est par toi que je l’ai compris.

Mais aussi, Renold, c’est un amour sauvage, ardent profond et vivace d’autant plus vivace qu’il est immatériel. Comment est-il né, comment a-t-il grandi… Est-