Page:Adelswärd-Fersen - Messes noires ; Lord Lyllian, 1905.djvu/202

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
190
LORD LYLLIAN

désormais du tourbillon joyeux, dont Renold s’était si fort impressionné :

— Allez, je vous abandonne… Vous le trouverez bien tous les deux sans moi… le joli dieu dont je vous parle !…

Maintenant, la solitude, la solitude délicieusement intimidante sous ces tilleuls centenaires, aïeux dont le feuillage avait protégé d’autres histoires d’amour.

Ils suivirent l’allée, d’abord penchant un peu la tête, sans oser se regarder ou rompre le silence.

Puis Renold parla, évoquant à demi-voix les souvenirs disparus, les souvenirs de jadis… tous leurs souvenirs ! Autour d’eux, c’était le soleil d’une éclatante après-midi de juin. Entre deux murmures lointains de danse, les oiseaux pépiaient avec des cris menus. Et le dialogue continuait, continuait, sans que rien ne s’en précise, mais avec de tels accents, de tels murmures, qu’ils n’avaient pas besoin de paroles pour exprimer ce qu’ils devinaient tous les deux, pour s’avouer le secret qu’ils n’osaient point se dire…

Ils atteignirent de la sorte une grille qui séparait le parc d’un vaste enclos. Et derrière cette grille et plus loin que l’enclos apparaissait le clocher d’une église. Chapelle abandonnée, ogives peuplées de nids, cloches muettes… qu’importe ?

— Si nous la visitions, murmurait Lyllian, tandis que, elle, de ses doigts fins, si frêles qu’on aurait dit la neige, cueillait pour lui une rose à la haie clairsemée.

Pour toute réponse, elle lui tendit la main et baissa les yeux. Ils traversèrent lentement le pré embaumé, dont le foin ondulait à la brise. De larges papillons diaprés voletaient comme des fleurs vivantes ; les grillons cris-