Page:Adelswärd-Fersen - Messes noires ; Lord Lyllian, 1905.djvu/193

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
181
MESSES NOIRES

— Et si je vous disais que je ne crois pas à votre transformation ?

— Mais pourquoi donc, Altesse ? N’ai-je pas à vingt et un ans la force, la vitalité, l’enthousiasme nécessaires pour cette renaissance ? Comment ! Par suite de je ne sais quels conseils, quels exemples, quels entraînements (songez à cette enfance abandonnée qui fut la mienne), mon esprit et mon cœur se faussent… J’en conviens… se faussent au sens de l’ordinaire, du médiocre, du bourgeois. Accès de fièvre ou de littérature, poison d’une caresse ou d’un roman ?… Qu’importe. La chose est évidente. J’étais malade…

» Or, la vie s’entr’ouvre, la vie commence. Par ses douleurs, par ses dangers, elle me menace, elle m’attaque. Après de lents efforts, je me ressaisis. Soudain, sur mon chemin, brille une aurore plus belle que toutes mes anciennes aurores. Je découvre ce qu’autrefois je n’avais que rêvé : le sourire charmant, la tendresse ingénue d’une jeune fille… Je me sens ardent, sincère et fort. Mon passé, qu’est-ce après tout ? Une attente, une hésitation… jamais un mensonge !

» Dois-je en rougir ?

» Non, pas plus que des amis d’hier. Quelle est l’erreur dont on a honte, après un loyal aveu ? D’ailleurs, était-ce une erreur ?… Et si cette soirée vous paraît étrange — bien qu’elle puisse vous plaire, Altesse — daignez croire que mon cœur en est loin, que mon âme n’y est plus…

— Votre cœur en est loin, dites-vous, Lord ? répondait le Grand Duc d’une voix un peu éteinte. Et vous vous croyez sauvé des atteintes du passé ? Quelle chimère ! Pensez-vous donc que l’on oublie si vite ce dont on s’est grisé… Si, encore, vous n’aviez connu que les sourires