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MESSES NOIRES

l’ivresse. Les uns fumaient l’opium dans de courtes tiges de bambous à cercles d’argent. Le Prince Skotieff, machinalement, découvrait son bras couvert d’abcès, et de temps à autre se piquait d’une aiguille d’or : la morphine. D’Alsace suçait un lambeau de bœuf cru et taquinait son dentier…

Et tous et toutes, avec leurs mines éreintées, leurs bouches avachies, les cernes blêmes de leurs yeux faisaient une scène merveilleuse (la quarantaine au lazaret), une scène merveilleuse de vice et de laideur à ce décor merveilleux de beauté.

— D’Herserange est extraordinaire !… en Borgia, je suppose, ou en Bourgeois ? continua Jean d’Alsace. Vous, vous incarnez, Feanès, un marquis de Sade idéal… mais retouché par Malthus, et trop marié. Le Prince… mais, quel costume a le Prince Skotieff… Doge ?

— Oh, c’est une chose de mon pays. Je l’ai fait arranger. C’est un… Comment appelez-vous ça ? — Il faisait de la main un geste puéril et agaçant. — Ces choses qui font avouer les gens sans aveu…

— Un bourreau ou un eunuque ? interrogea d’Alsace, équivoque. Ah ! mon Prince, ce n’est plus du travesti.

— Gardez l’eunuque et dites bourreau. Un bourreau, justement. Seriez-vous capable de le supporter ? répliqua Skotieff, moitié knout, moitié samovar. Dites, continua-t-il en se tournant vers della Robbia, quel est le prénom de ce lord Lyllian ?

— Renold, dit della Robbia. Vous verrez — s’il vient — comme il prétend évoquer certains portraits de l’autre, du grand Renolds, dont il manque — et c’est tout — une lettre à son nom. Même pâleur que les jeunes ducs de