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MESSES NOIRES

famie. Il souffrit à cause de vous le martyre. Après deux ans de douleurs surhumaines, vous le rencontrez hier, par hasard, dans un bouge à fêtards.

Il est là qui vous voit, qui tremble, qui vous implore. Vous passez tout près de lui… Un mot, un geste… le paradis pour cet homme entré vivant en enfer… Halte-là ! pour qui prenez-vous lord Lyllian ?

» Et vous partez, raide comme une statue de marbre, sans ce mot et sans ce geste…

Pour la première fois Renold ne savait quoi répondre. Comprenant vaguement sa faute, rempli d’ailleurs d’une mélancolie indicible, il écoutait maintenant le bruit monotone et doux de la pluie au dehors. Sur l’avenue passaient des fiacres trempés. Tout cela était triste. Pourtant ce soir il faudrait être gracieux et sourire. Un dîner à l’ambassade d’Angleterre, un contrat Avenue des Champs-Élysées.

Subitement une pensée lui vint.

— Dites donc, Payen, connaissez-vous l’adresse ?…

— L’adresse de qui ?

— D’Harold Skilde. Est-ce qu’il ne vit pas quelque part dans le quartier latin.

— Oui, rue Saint-Jacques, pourquoi ?…

— Je veux y aller…

— Vous ?… Mais réfléchissez un peu… Après la scène d’hier, ce serait très pénible, très émotionnant.

— Je dois le faire, c’est mon devoir. Vous me l’avez rappelé.

— Quand voulez-vous ?…

— Aujourd’hui… maintenant… tout de suite !

Et Lyllian disparut pour s’habiller.

Payen, souriant, laissait faire. Pour lui, Lyllian était