Page:Adelswärd-Fersen - Messes noires ; Lord Lyllian, 1905.djvu/179

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
167
MESSES NOIRES

Ainsi parlait Lyllian le lendemain du soir tragique où, pareil au fantôme des drames anciens, Harold Skilde lui était apparu. Languissamment étendu sur des soies anciennes, plus joli et plus troublant que jamais, il ressemblait, en parlant, la lèvre dédaigneuse et le regard perdu, à ces esquisses d’infants que Velasquez aimait peindre.

— Oui, nous sommes peut-être des centaines, des milliers de jeunes hommes pareils à moi, pareils. Nous nous imaginons, au seuil de l’existence, pouvoir augurer du plaisir, du bonheur, ainsi que ces bêtes innocentes qui cabriolent un jour de soleil. Quelle blague ! Vous avez lu ça dans un roman, à la trois cent soixantième page, après la rencontre avec la belle-mère, avant que Roméo ne se tue. Croyez-vous donc être mis au monde pour la joie ?

La jolie fête, en vérité, que cette vallée de larmes, où, le plus souvent, on n’a pas même la ressource farouche de pleurer, où l’on n’a, en place d’un cri d’espérance, qu’une clameur de nausée à la bouche !

— Vous êtes injuste, Lyllian, et d’un accès passager de mélancolie, vous voulez assombrir tout votre passé. Voyons, argumentait Guy de Payen — de sa voix chapelle Sixtine vous m’avez confié bien des choses, avoué presque l’autrefois. Comment pouvez-vous vous plaindre de n’avoir rencontré personne sur le chemin qui conduit si souvent — je vous l’accorde — à la désillusion, mais quelques fois aussi aux chimères !

Je ne tiens pas à invoquer Arvers, mais votre entrée, sur la scène — puisque scène il y a — a été précédée, suivie — n’est-il pas vrai — d’un murmure d’amour ? Personne ne connut si jeune l’enivrement du triomphe !