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MESSES NOIRES

— Il m’a vu… C’est trop tard. Avançons.

Harold Skilde avait en effet aperçu lord Lyllian. Il le regardait comme un homme ivre. Tant de choses s’étaient passées depuis leur dernière rencontre, tant de désastres, tant de ruines… Le procès, la prison, la misère, la honte… et pourtant quelle fierté dans ce calvaire… puis la pétition des poètes demandant grâce pour l’artiste… Paris ensuite, Paris où Skilde s’était réfugié pour souffrir, pour durer… mais soudain lui apparaissait ce fantôme, cet enfant d’extase et d’amour, toute sa volupté à lui, toute sa souffrance… et l’ingratitude, et l’oubli !… Ô supplice !…

Cependant Lyllian, très ému, mais très raide, comme magnétisé, arrivait au niveau de l’écrivain, sans regarder, livide…

— Lyllian, Lyllian… vous ne me connaissez plus ? bégayait Harold Skilde… debout, tremblant. Mais voyons… Souvenez-vous ! Alors, comme les autres, vous m’avez lâché ? Je suis vieux, je suis laid. Je suis misérable, pourtant vous m’avez bien aimé… Lyllian, où donc allez-vous ? Ne partez pas, ne partez pas, faites-moi l’aumône d’un rêve, parlez-moi… Renold, je n’ai que vous au monde !

Aux premiers mots, Lyllian épouvanté s’était enfui, et seul, grotesque et pitoyable, Skilde, cet homme qui avait écrit des chefs-d’œuvre, ne trouvait plus une phrase, devant la porte close, pour exprimer son anéantissement.